Les enfants du malheur

Livres / Nathacha Appanah sera vendredi 19 octobre à la librairie Passages pour évoquer Le Dernier Frère, un roman bouleversant dans lequel la petite histoire se mêle à la grande. Yann Nicol


Le 26 décembre 1940, L'Atlantic débarque à Port-Louis, avec à son bord plus de 1 500 Juifs qui tentaient de rejoindre Haïfa pour fuir l'Europe nazie. Les autorités britanniques, après les avoir refoulés de Palestine comme des immigrants illégaux, avaient décidé de les déporter et de les emprisonner dans l'une de leurs nombreuses colonies, en l'occurrence l'Ile Maurice. La captivité durera quatre ans, durant lesquels 127 d'entre eux trouveront la mort... Après avoir évoqué le sort des Indiens venus à la fin du XIXe siècle remplacer les esclaves noirs dans les plantations (Les Rochers de Poudre d'or), la mauricienne Nathacha Appanah s'attaque à un nouvel épisode de l'histoire de son île natale avec la mise au jour d'une réalité occultée par beaucoup : «Cet événement historique est très méconnu, et notamment des mauriciens, qui n'ont eu aucun rapport avec les prisonniers. Je l'ai moi-même découvert très tard, vers vingt ans, alors que j'habitais très près du cimetière juif. J'ai toujours eu le sentiment que mon pays avait été «épargné» par les deux guerres mondiales, et cela m'a beaucoup frappée de découvrir que ce n'était pas le cas». À cette époque, les autochtones n'ont en effet eu aucun rapport avec les prisonniers. Dans Le Dernier Frère, Nathacha Appanah imagine pourtant la rencontre entre Raj, un jeune Mauricien endeuillé par la perte brutale de ses deux frères et David, un orphelin juif détenu dans la prison de Beau-Bassin. «Qu'aurais-je fait ?»C'est Raj, devenu un vieil homme, qui revient sur leur rencontre, et notamment sur l'émerveillement presque amoureux qu'il a ressenti en découvrant les boucles blondes du jeune David. Les deux garçons n'ont aucun point commun, mis à part d'être marqués par la souffrance et la perte. Le temps d'une escapade dans la forêt mauricienne ou lors de leurs interminables séances de jeux, Raj et David redeviennent ce qu'ils n'ont jamais eu le temps d'être : des enfants. À travers cette émouvante histoire d'amitié et de fraternité (Raj n'est-il pas à la recherche de son «dernier frère» ?), Nathacha Appanah donne un roman d'une grande sensibilité sur les fêlures de la guerre, sur l'importance de la connaissance et de la transmission, mais aussi sur le sentiment de culpabilité de ceux qui n'ont pas pris conscience de l'horreur historique. Avec, en filigrane, la question obsédante que se pose toujours Raj, bien des années après cet épisode : «Si ma mère avait su exactement ce dont il s'agissait, je veux dire la guerre, l'extermination des Juifs, les pogroms, si elle avait su tout cela, si elle avait été une personne instruite, une femme du monde lisant les journaux et écoutant la radio, si elle avait été ce genre de femme-là, aurait-elle laissé partir David ? Et si moi j'avais su ce que David avait enduré pendant quatre ans, qu'aurais-je fait, moi ?»Nathacha AppanahÀ la librairie PassagesVendredi 19 octobre


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