Poésie abstraite, paranoïa concrète

Expo / Deux artistes se partagent les espaces d'exposition de l'Institut d'art contemporain : l'américain néo-conceptuel Joe Scanlan et le jeune français Laurent Grasso qui explore les ondes électromagnétiques qui gouvernent notre monde. Jean-Emmanuel Denave


Ténue, minimaliste, «néo-conceptuelle», l'œuvre de Joe Scanlan (né en 1961 dans l'Ohio, installé à New York) n'intéressera, probablement, que les amateurs d'art contemporains purs et durs. Eux seuls, peut-être, seront sensibles à la poésie effacée de son art minimal et à ses références artistiques plus ou moins directes, tel ce champ de fleurs jaunes artificielles et fragiles que l'on traverse en début d'exposition. Plus loin, l'artiste présente des «wall drawings» composés de motifs abstraits blancs et bleus, une progression aléatoire de figures géométriques tracées au crayon à papier sur un mur, de grands cartons bleu pâle ouverts, des variations de couleurs et de dispositions des lettres de la phrase «SoLongSolSoLong» venue à l'esprit de l'artiste lors d'une balade en vélo, rendant hommage à l'artiste conceptuel Sol LeWitt décédé récemment et influence importante pour Joe Scanlan. Fragilité, ouverture, variation, circulation entre les œuvres : autant de dimensions touchantes et intéressantes travaillées par Scanlan, dont on regrette simplement qu'elles soient déconnectées de toute réalité et se résument à un univers abstrait un peu rêche.Under control
A contrario, l'exposition de Laurent Grasso (né en 1972, installé à Paris) baigne parmi les motifs les plus concrets et essentiels du monde contemporain : l'image, les ondes électromagnétiques, les dispositifs de contrôle et de surveillance... Son exposition Magnetic Palace a été conçue comme un véritable territoire divisé en plusieurs zones où l'on peut littéralement passer derrière les images, circuler d'une dimension spatiale ou temporelle à une autre, de la réalité à la fiction et vice-versa. Laurent Grasso a par exemple filmé en un long travelling les décors du film de Scorsese, Gangs of New York, devenant ici une gigantesque ville fantôme et inquiétante. Dans Satellite, l'artiste détourne encore la normalité cinématographique en filmant avec une caméra contrôlée par ordinateur l'actrice Carole Bouquet hors de tout décor : images un peu floues accompagnées d'une bande-son angoissante... Plusieurs œuvres de l'artiste s'intéressent à la fameuse base Echelon (système mondial de réception satellitaire des communications par téléphone ou Internet, situé en Grande-Bretagne) : maquette de la base présentée dans une boîte noire, sculpture de la sphère géodésique dans laquelle se trouvent les antennes de réception. L'artiste s'intéresse aussi au phénomène encore inexpliqué de l'arc électrique, aux aurores boréales et aux éclipses, imagine un nuage de pollen envahissant Berlin... Entre science et science-fiction, Laurent Grasso sonde les dispositifs de contrôle, visibles ou invisibles, qui influencent jusqu'à nos images mentales les plus intimes. Une œuvre encore en devenir mais déjà passionnante.


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