New York Time

Panorama / En programmant la crème des musiciens new-yorkais, Les Nuits de Fourvière, après Nuits sonores, rendent justice à une ville dont la culture de l'avant-garde a toujours marqué le tempo de la tendance mondiale. Stéphane Duchêne


Observateur avisé de l'industrie culturelle, Frank Zappa a dit un jour : «la culture dominante viendra toujours à toi, mais c'est à toi d'aller vers l'underground». Sauf qu'en la matière, la culture dominante a tendance à nous mâcher le travail puisqu'elle finit toujours par se nourrir de l'underground. À Big Apple plus qu'ailleurs puisque les artistes présentés aux Nuits New York symbolisent au mieux ce mouvement de balancier perpétuel entre underground et establishment. Avant de devenir, avec la reconnaissance et les années, des mythes (Lou Reed, Patti Smith), des princes de la hype (Antony) ou des références culturelles incontournables (Philip Glass, Laurie Anderson) qui nous font l'honneur culturel «de venir à nous», tous ont arpenté la marge et ses zones artistiques peu fréquentées : à sa sortie, le premier album du Velvet Underground (1967), bande-son de la Factory aujourd'hui considérée comme un classique indépassable, fut largement snobé (tout comme Berlin, six ans plus tard). Mais la légende, tenace, raconte que chacun de ses acheteurs a, dans la foulée, fondé un groupe de rock. Quant à la scène du CBGB des 70's, poignée de punk rockers plus (Talking Heads) ou moins (Richard Hell, Television) bien peignés, éclos dans un bouge du Bowery abritant des vétérans du Vietnam, des punks anglais aux Strokes ou aux baby rockers BCBG siglés CBGB, il n'est pas un groupe tâtant du binaire qui ne s'en réclame. Pas une rockeuse qui n'en appelle au saint patronage de Patti Smith ou Blondie. Soifs de conquête
Une influence comparable à celle des folkeux de Greenwich Village, héritiers et rénovateurs, durant les 60's, de l'esprit beatnik. C'est en effet là que le jeune Robert Zimmerman, venu du Minnesota, y perfectionna sa panoplie de Bob Dylan, livrant avec The Freewheelin' Bob Dylan (1963) un album qui fit entrer le folk dans la réalité urbaine et brutale du siècle. Épicentre de la création sous toutes ses formes, aimant à génies, New York a ainsi toujours agi comme un accélérateur de particules artistiques, attirant par son effervescence émulatrice les jeunes artistes en devenir gonflés d'ambition esthétique (Dylan donc, Patti Smith, l'Anglais Antony...). Parce que New York est une ville-monde, première étape du rêve américain, havre de cosmopolitisme où se téléscopent les cultures en mouvement et se cristallisent les soifs de conquête, les courants musicaux les plus importants (folk moderne, punk, hip-hop, be-bop, free-jazz, mouvement Fluxus), les artistes les plus imposants (Lou Reed, John Cage, Bruce Springsteen, Public Enemy et des flopées de jazzmen, rockers, rappeurs), y ont germé, poussé puis essaimé. Transformant, comme le roi Midas changeait en or ce qu'il touchait, l'air vicié des bas-fonds de l'underground en air du temps.


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