Complexitude

Art contemporain / La prochaine Biennale d'art contemporain s'approche à grands pas et, en amont, à grands coups de scénarios étonnamment alambiqués. Derrière les mots : des artistes et un crû 2007 très jeune et prometteur. Jean-Emmanuel Denave


Berlin, Istanbul, Shanghai, La Havane, Sidney, Dakar, Athènes pour la première fois en septembre, Bruxelles bientôt... Au total, il existe 112 biennales d'art contemporain à travers le monde. L'année 2007 est particulièrement exceptionnelle avec la 12e Documenta de Kassel (événement artistique majeur ayant lieu tous les 5 ans ; 650 000 visiteurs en 2002) et la Biennale de Venise (l'ancêtre des biennales créée en 1894)... «Aujourd'hui, l'actualité artistique se renouvèle plus tous les 8 jours, on vit une sorte de présent perpétuel et l'on ne sait plus très bien de ce qu'il en est de notre présent, de notre futur, ni même de notre passé», note, non sans un soupçon d'angoisse, Thierry Raspail, directeur de la Biennale de Lyon. Comment exister en effet au milieu d'une telle orgie événementielle, donner une identité à une biennale qui plus est basée en «province» ? Les deux commissaires invités pour l'édition 2007, Stéphanie Moisdon et Hans-Ulrich Obrist, répondent d'une manière assez déconcertante : par une surenchère théorique et un dispositif méthodologique des plus complexes.Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ?
La chose s'intitule : 00's L'histoire d'une décennie qui n'est pas encore nommée. «Ce titre ouvre sur une énigme et un défi : écrire l'histoire de l'art au présent», déclare Stéphanie. Moisdon. Pour cela, «notre méthode est celle d'un jeu librement inspiré du champ littéraire ou du sport». Concrètement ce jeu consiste à nommer un premier cercle de 50 joueurs (de jeunes commissaires d'exposition et critiques d'art) devant répondre à la question «Quel est l'artiste ou l'œuvre qui occupe selon vous une place essentielle dans cette décennie (2000-2010) ?» ; un second cercle de 13 artistes-joueurs définiront quant à eux directement cette décennie à travers une œuvre ou un scénario d'exposition. Inspiré de l'historien Paul Veyne, de l'écrivain Édouard Glissant ou du philosophe Giorgio Agamben, ce vaste jeu où des commissaires désignent d'autres commissaires qui désignent des artistes est censé déboucher sur un livre d'histoire (d'une décennie non achevée !), écrit à plusieurs voix. Lors de leur présentation à la presse, Stéphanie Moisdon et Hans-Ulrich Obrist ont presque réussi la performance de ne pas parler du tout des artistes exposés... In extremis, on apprend quand même qu'il y aura quelques curiosités (le chorégraphe Jérôme Bel présentant une installation visuelle et sonore ou Michel Houellebecq dévoilant un paysage futuriste utilisé parallèlement comme décor pour le tournage de son film La Possibilité d'une île), un intrus (le photographe d'adolescentes affriolantes David Hamilton), quelques habitués des biennales (Rikrit Tiravanija, Pierre Joseph, Urs Fischer, Saâdane Afif) et, surtout, toute une ribambelle de jeunes artistes totalement inconnus qui effectueront là leur première exposition importante... Passée la migraine conceptuelle, on se dit du coup que cette Biennale 2007 s'annonce particulièrement ouverte et prometteuse.


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