Un long fleuve intranquille

Festival / Les Intranquilles (6e édition) continue d'explorer des territoires scéniques et artistiques incongrus, incertains voire rageurs. Tout en conservant une dimension grand public avec, par exemple, un spectacle de funambules sous chapiteau... Jean-Emmanuel Denave


«Vous, propriétaires de ce monde, êtes cadavres morts : nos amis les cochons vous mangent les oreilles. Les renards vous grignotent la queue-queue et vous jouissez. Pauvres hommes à qui il faut une mère. Pauvres idiots. Vous adorez la souffrance, en tous fétiches possibles, et nous, nous avons pris goût à notre liberté. Tout être au monde est à jamais intemporel, sauvage et nomade, chevalier en son propre, libre»... Ainsi écrit Kathy Acker (1947-1997), ovni punk de la littérature américaine, sorte de William Burroughs au féminin et auteur d'une quinzaine de romans bourrés de vitriol, de révolte, de sexe, de folie. Tous écrits à coups de cut-up ou d'emprunts épars, de jets pulsionnels et de vrilles grammaticales jusqu'aux confins du sens... Cette matière littéraire inadaptable, et le texte Don Quichotte qui était un rêve en particulier, ont inspiré à Hélène Mathon une création qui en respecte plus l'esprit que la lettre : «C'est le rêve d'une femme pour exister dans un monde où l'on voudrait, chaque jour simplifier son identité. C'est mon rêve pour fabriquer un objet théâtral, chorégraphique et musical qui s'appartienne en lui-même, exacte rencontre entre la parole de K. Acker, mon histoire et l'équipe qui m'entoure», déclare la metteur en scène. Un théâtre tout en sensations plutôt qu'en narration, et, intuitivement, prometteur.Cul par-dessus têteOn pourra se détendre un peu avec Le Fil sous la neige de la Cie Les Colporteurs, grand ballet aérien et poétique pour sept funambules racontant, sur un écheveau de câbles entrecroisés, la vie de son «metteur en fil» Antoine Rigot, circassien virtuose victime d'une terrible chute il y a six ans... Autre spectacle incontournable : le solo Self Unfinished de Xavier Le Roy (thésard en biologie moléculaire qui a «viré» chorégraphe en 1991 !). Sur une scène toute nue et blanche, le danseur se fait d'abord machine-outil ou robot accompagné, dans ses progressions qui sentiraient presque l'huile de vidange, de stridences mécaniques a capella. Il effectue ensuite une marche arrière, soyeuse et ralentie, qui débouche bientôt sur une sorte de régression organique totalement fascinante : dos au public, corps inversé et littéralement cul par-dessus tête, jambes et bras échangeant aussi leurs fonctions, Le Roy se métamorphose en une chose vivante indescriptible, drôle et sculpturale, aux organes et membres redistribués, contorsionnés, et aux déplacements kafkaïens... Le chorégraphe présente parallèlement une nouvelle création inspirée des gestes du chef d'orchestre Sir Simon Rattle dirigeant Le Sacre du printemps de Stravinsky ! Décidément toujours imprévisible.Les IntranquillesAux Subsistances (et sous chapiteau dans la cour de l'IUFM pour les Colporteurs) Jusqu'au 29 juinProgramme complet sur le site


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