Sortir de l'ombre

Livres / Découverte grâce à la parution de son premier roman, Gagner sa vie, qui vient d'être récompensé par le Prix du Département du Rhône, Fabienne Swiatly confirme avec la sortie de Boire, un deuxième récit encore plus bref et cinglant que le précédent. Yann Nicol


Après la région Rhône-Alpes, c'est donc au Département du Rhône d'attribuer ses annuels prix littéraires. Fabienne Swiatly, la lauréate de la catégorie «Belles lettres et Récits» est en bonne compagnie puisque ce prix créé en 1990 a déjà récompensé des auteurs comme Brigitte Giraud, Charles Juliet, René Belletto ou le grand Louis Calaferte. Une récompense d'autant plus importante que Gagner sa vie (La Fosse aux ours) est un premier roman. Un roman, certes, même si ce livre puise avant tout dans la matière autobiographique de Fabienne Swiatly, qui y raconte les mille et une voies qu'elle a empruntées pour «gagner sa vie» : trieuse de dattes, serveuse, secrétaire, animatrice radio ou d'ateliers d'écriture. Tout commence en Lorraine, lorsque la narratrice lit Miller ou Kerouac, imagine un destin littéraire alors que ses parents la voient plutôt secrétaire commerciale : «Préparer un bac pour une fille d'ouvrier, c'est déjà bien et puis gestion-commerce, ça fait sérieux. On dirait presque un métier». La jeune fille préfère la fuite : c'est le départ pour le sud, la galère quotidienne, le refus de retourner en arrière et le premier travail : «Je regarde avec désolation mes doigts aux ongles rongés et enjaunis par les sans filtres fumées goulûment. Mes mains qui ne savent rien faire de particulier. Mes mains qui lundi se mettront au travail pour la première fois. Des mains pour gagner sa vie». Il est heureux que la littérature s'empare d'une expression - gagner sa vie - dont la banalité n'a d'égale que la profondeur. Première gorgée de bière et autres souffrances majeuresC'est un autre verbe à l'infinitif qui donne son titre au deuxième roman que Fabienne Swiatly publie cette fois aux éditions Terrenoire, une petite structure lyonnaise qui se positionne en faveur d'une «édition artisanale enragée». Comme son nom l'indique, Boire est un livre sur la difficile relation que la narratrice (et l'ensemble de sa famille) entretient avec l'alcool. Des premières gorgées avalées au goulot d'une bouteille de 33 Export à la tentative de sevrage («Cela me confirme que l'alcool a bien quelque chose à voir avec l'absence de Dieu. L'impossibilité de vivre le manque. Si je ne bois plus, serai-je encore moi ?»), l'auteur montre à la fois les douleurs intimes, les difficultés sociales et les souffrances physiques. Constitué de petits et percutants paragraphes, ce livre à l'écriture sèche, aux phrases brèves et coupantes, nous plonge au cœur même de l'addiction avec autant de sincérité que de pudeur. Les textes sur les parents, le frère, la sœur, eux aussi esclaves de l'alcool, exhalent une émotion profonde, tant les liens affectifs semblent dépendants de l'ivresse. L'écriture aussi en subit les conséquences : «Quelques verres de gin ont réveillé ma toute puissance créatrice. La mort en oublie d'être effrayante. Je me promets d'écrire là-dessus. Je mâche avec excitation les mots du chef-d'œuvre à venir. Le lendemain, je constate que j'étais bourrée, un point c'est tout». Entre griserie et désespoir, la frontière est infime.


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