Grandeur et décadence

Opéra / Un jeune homme - Tom Rakewell - ne peut se contenter d'un bonheur simple et désire être riche. Bingo... Gros pacte avec le diable. Une partie de cartes plus tard, il finit à l'asile, condamné à la folie. Pascale Clavel


Lorsque Stravinsky finit de composer The Rake's progress en 1951, Berg propulse déjà sur les scènes internationales son sulfureux Wozzeck, Henri Schaeffer ouvre les voix de la musique concrète. Le compositeur, alors presque septuagénaire, voulait-il, par la forme très classique de cet opéra, nous parler d'un paradis musical perdu ? Relents de musiques de Gluck, Mozart, Bellini, Gounod ou encore Rossini envahissent la totalité de l'œuvre. Étrangement encore, The Rake's progress ne puise pas son sujet dans une œuvre littéraire comme souvent mais Stravinsky s'appuie sur une série de peintures et gravures de Hogarth qu'il décrit ainsi : «c'est l'essence si particulière du XVIIIe siècle anglais [...] ; une couleur,une société qui sont autant d 'éléments pour un jeu musical». Cette série de gravures lui inspire «un petit orchestre, peu de protagonistes, un petit chœur. Bref, de la musique de chambre...» MagicienDans la production proposée à Lyon, la mise en scène de Robert Lepage transcende le tout. Cet homme est un réel magicien qui rend l'espace toujours plus beau, encore plus féerique, qui joue de tous les artifices pour éblouir un public médusé. Il n'arrive pas de nulle part et a su se faire reconnaître par ses paires grâce à son incroyable talent de metteur en scène, de scénographe, d'auteur dramatique, d'acteur et... de réalisateur. Comme si cela ne suffisait pas, Robert Lepage a également signé la mise en espace d'un spectacle de Peter Gabriel. Ses multiples inspirations sont autant d'ouvertures et de fantaisies qui manquent souvent dans le milieu de l'opéra. Mais voilà, le public se trouve pendant trois heures devant un tel foisonnement d'astuces de mise en scène qu'il en oublierait presque la musique de Stravinsky. On est au cinéma ; parfois dans l'univers de David Lynch, parfois au cœur d'un film des années 50. Côté musique pourtant, la direction musicale efficace d'Alexander Lazarev met en relief les beaux moments, trop rares dans la partition, réservés aux vents. Les couleurs sont chaudes, le jazz n'est pas loin. Le chef affronte cette musique difficile avec rigueur et essaie de créer constamment le lien entre la fosse et le plateau. Hélas, les solistes ont du mal à trouver leur place au début, tant sur scène que sur le plan vocal. Les déplacements sont gauches voire caricaturaux et les voix sont presque inaudibles. Heureusement, au fil de l'œuvre, chacun prend réellement place et corps. Darren Jeffery (Tom Rakewell) devient de plus en plus convaincant et offre une voix stable, souple qui donne corps à son rôle. Seul William Shimell en Nick Shadow sait captiver son auditoire de bout en bout par la puissance et la profondeur de sa voix.The Rake's progressD'Igor StravinskyÀ l'Opéra de LyonJusqu'au 3 juin


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Sortir de l'ombre