L'Ile aux enfants

Musique / Sur leur troisième album, The Adventures of Ghosthorse & Stillborn, les deux sœurs foldingues de CocoRosie ont changé leur folk fantôme en pow-wow hip-hop. Trop foisonnant sur disque, leur gloubiboulga musical fait toujours merveille sur scène. Stéphane Duchêne


Sur Anthology of American Folk Music, somme indispensable des années 20 et 30 sur les origines du genre, on entend des voix grinçantes et fantomatiques surgies des entrailles du folklore américain et dont on n'identifie pas toujours les ectoplasmiques propriétaires (homme ? femme ? vieillard ? enfant ? vivant ? mort ?). C'est de ce territoire de morts bien vivants qu'ont semblé débarquer il y a quatre ans les sœurs Casady de CocoRosie (Sierra, sosie de Mélanie Griffith, et Bianca, sosie de n'importe quel moustachu) : voix transgenres et sans âge véhiculant tout le poids d'une tradition ancestrale née dans les Appalaches et la modernité d'une démarche musicale entamée dans une salle de bain parisienne (lieu d'enregistrement de l'inaugural La Maison de mon Rêve). De cette rencontre entre un vieux phonographe à cylindre, un ghetto-blaster et un mange-disques pour enfants, est apparue une musique inclassable pratiquée avec la grâce et l'innocence de ces petites filles qui, dans certains films, parlent aux fantômes : blues bohémien, comptines hip-hop, bluegrass de chambre, opérette lo-fi, mélodies sacrées sur rythmes païens. Car les sœurs Casady, à la fois inquiétantes et sucrées, doivent autant à Billie Holiday qu'à Björk, à Frida Kahlo qu'à Sitting Bull et pourraient tout à fait ouvrir une porte dans un épisode de Deadwood et la refermer dans Twin Peaks ou chez les Bisounours. Serpent à cornesUn mélange de genres à hauts risques qui, s'il a jadis fait des merveilles (le deuxième album, Noah's Ark), déçoit sur The Adventure of Ghosthorse & Stillborn, l'ambition schizophrène de ces sœurs Soleil s'y révélant moins convaincante qu'à l'accoutumée. Peut-être parce qu'en la poussant trop en devant d'elle, elles en ont perdu le contrôle. Les beats hip-hop, qui ne constituent plus un arrière-plan timide et enfantin comme sur La Maison de mon Rêve ou Noah's Ark mais la colonne vertébrale du disque, pourraient certes tenir la baraque. Mais les sœurs donnent surtout l'impression d'avoir joué aux «enfants font la cuisine», mélangeant pour voir tous les ingrédients mis à disposition (gospel, chant lyrique, r'n'b), sans considération de goût. Le résultat manque de liant, prouvant à plusieurs reprises que profusion d'idées folles ne fait pas toujours une chanson. À ceux que l'imaginaire copieux, et la garde-robe, de CocoRosie ne rebutent pas, entre Sarah Bernard croisant Todd Browning au Prisunic, exégèse de Psychanalyse de Contes de fées et sonnettes de tricycles rouillées, on recommande pourtant leurs concerts. Filles de chamane adepte du peyotisme (un culte à base de cactus hallucinogène pratiqué par William Burroughs), les sœurs Casady y célèbrent hip-hop et r'n'b comme leurs aïeuls Cherokee dansaient jadis autour d'un feu pour invoquer l'esprit du serpent à cornes. C'est d'ailleurs souvent une véritable tribu qu'elles trimballent sur scène : outre le fidèle Spleen en guise de human beatbox on y a déjà croisé le sorcier Devendra Banhart. Et l'esprit dansant de bien des fantômes.COCOROSIEAu TransbordeurVendredi 1er Juin«The Adventures of Ghosthorse & Stillborn» (Touch & Go / Pias)


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Grandeur et décadence