«Sortir de la vision d'une ville triste»

Entretien / Pierre Vaisse, professeur honoraire d'histoire de l'art à l'Université de Genève, Commissaire général de la manifestation. Propos recueillis par JED


Quel est le fil rouge de la manifestation Lyon au XIXe ?Pierre Vaisse : Notre point de départ était de vouloir sortir Lyon d'une double vision : celle d'une ville triste, crasseuse et ennuyeuse au XIXe Siècle, et celle d'un enfermement dans la «lyonitude», sorte de caractère lyonnais qui serait fixe à travers toutes les époques. Lyon est au contraire au XIXe siècle une ville active et ouverte, qui s'inscrit dans le développement des grandes métropoles européennes et qui est en contact étroit avec elles. Quelles sont les spécificités de Lyon au XIXe ?La grande richesse de Lyon c'est la banque, et plus encore la soierie (qui disparaîtra peu à peu au profit de la chimie et d'autres industries), avec tous les risques sous-jacents à la mono-production. L'organisation singulière de la Fabrique a suscité une culture ouvrière spécifique (celle de Canuts) et de nombreuses avancées sociales : les mouvements mutualistes, la création à Lyon du premier Conseil des prud'hommes... La Fabrique fait aussi qu'on recherche plutôt des compromis que des conflits. Politiquement, la répression très dure de 1793 (un véritable traumatisme pour Lyon) a occasionné une part d'esprit contre-révolutionnaire, alors que Lyon ne l'était pas auparavant. En France, on se détermine toujours politiquement par rapport à la Révolution : ce positionnement est encore plus accentué à Lyon. C'est encore une ville à la fois très catholique et marquée par de forts courants anticléricaux, maçonniques, libertaires ou anarchistes.Que reste-t-il du XIXe siècle aujourd'hui, quelles leçons peut-on en tirer ? Il suffit de se promener dans la Presqu'île pour voir ce qu'il reste : c'est architecturalement le XIXe, de même que Fourvière et la rive gauche. Quant aux leçons, je me méfie de cette notion. Longtemps on a voué un culte à l'Antiquité, aujourd'hui au contraire on loue le progrès pour rejeter le passé dans l'ombre. Connaître le siècle est une leçon de relativisme et de modestie : cela nous permet de mieux comprendre le présent, de voir qu'il n'est pas aussi novateur qu'on le croit et qu'à l'inverse le passé n'est pas aussi sombre qu'on le pense.


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