Je est tous les autres

Musique / Avec son deuxième album, Rio Baril, Florent Marchet s'est propulsé dans la catégorie des grands auteurs du rock français, assumant une réflexion politique englobée dans une forme orchestrale et romanesque. Il sera à l'Épicerie Moderne jeudi 10 mai. Christophe Chabert


Florent Marchet aurait pu rester un de ces chanteurs français prometteurs noyés dans la masse des nouveaux arrivants. Son premier disque, Gargilesse, était en effet un joli coup d'essai, mais n'était jamais loin d'un certain académisme à la française. Cet académisme-là était particulièrement latent sur les meilleures chansons de l'album : Je n'ai pensé qu'à moi et Tous pareils. En effet, si Marchet a l'audace de décrire ce que d'autres préfèrent cacher - le conformisme ambiant ou l'incapacité à s'ouvrir à l'autre et à lui prêter l'attention qu'il/elle mérite - il le fait encore sous la forme allusive de l'auto-confession ou de la description par le petit bout de la lorgnette. Le «je» règne toujours, mais on le sent prêt à céder sous la pression d'un «nous» beaucoup plus ambitieux.La vie normale
Ambitieux, c'est le mot qui qualifie le mieux Rio Baril, son deuxième album. Dès son générique à la Ennio Morricone, Florent Marchet passe du plein écran au cinémascope, apporte de l'air à sa musique, change de focale et prépare l'arrivée de ses personnages. Nous sommes dans une petite ville française, imaginaire certes, mais qui doit ressembler beaucoup aux villages de son Berry natal. Là, un jeune garçon va se plier à la pression familiale et essayer de réussir sa vie en «montant» à la Capitale pour faire des études, travailler, vivre en couple, sympathiser avec ses voisins... La vie normale, quoi, à moins que ce ne soit juste une vie normative... Aux deux tiers du disque, tout se détraque : le jeune homme sombre dans la dépression, se bourre de cachets et commet l'irréparable, fait-divers tragique dont les échos et les ragots nous ramènent dans les cafés de Rio Baril, puis beaucoup plus loin, vers l'événement décisif et pourtant anodin d'une enfance brisée. Cette histoire, Florent Marchet l'a co-écrite avec le romancier Arnaud Cathrine, lui-même très influencé par la littérature américaine de Faulkner et Harrison, et mise en son avec Erik Arnaud, qui avait avant lui essayé de faire souffler un vent noir et politique sur la chanson française le temps de deux albums terrifiants. Ce que Marchet et ses acolytes nous disent, c'est à quel point la société française vit de rêves tellement étriqués que même leur réalisation est une déception et une souffrance. Que la haine de soi ne naît ni de la haine de l'autre, ni de la haine de son pays, mais de notre incapacité à sortir d'un moule aliénant et matérialiste. Le tour de force, c'est que ce diagnostic remarquable de pertinence est fait avec un humour (noir) constant et un luxe orchestral aux accents rock impressionnants. On est impatient de voir comment ce grand roman musical passera l'épreuve de la scène à Lyon...


<< article précédent
Les quatre fantastiques