Idiocracy


Dans le registre apprécié de la «comédie débile», Idiocracy a une place à part : non seulement il touche les sommets du genre, mais il en est aussi le manifeste théorique et politique. La connerie est son sujet, non pour la brandir en étendard mais pour forcer le spectateur à regarder en face les conséquences d'un laisser-aller intellectuel dont le refrain entêtant se fait un peu trop entendre en ce moment. Le tour de force de Mike Judge, c'est de faire réfléchir sur la bêtise sans tomber dans la posture surplombante. Au contraire : Idiocracy est un film qui utilise la connerie pour mieux la critiquer, et qui la critique pour mieux nous y faire prendre un plaisir coupable.

Résumons : de nos jours, on tente une expérience scientifique en congelant un Américain moyen (l'excellent Luke Wilson) pour observer sa réaction à son réveil quelques années plus tard. Mais l'expérience tourne mal, et il ne sort du coma que 500 ans plus tard. À peine Joe a-t-il mis les pieds hors de son caisson qu'il découvre un pays ravagé par la pollution, dont les citoyens obèses à force de malbouffe sont réduits à une désolante beauferie, tellement décérébrés qu'ils ne se rendent même plus compte de leur bêtise. Les conséquences sont aussi drôles que tragiques : on arrose les champs au Gatorade, le Président est un gros mac black sorti d'un mauvais clip de rap, tout le monde s'exprime avec des onomatopées pires que celles des ados de Next sur MTV, le plus gros succès du moment est un film sur un cul qui pète en gros plan... Sans être une lumière, Joe devient un parangon de bon sens, donc une forme de menace, si tant est que ce concept ne soit pas déjà trop compliqué.

Dans le fond, Judge ne fait que reprendre une grande idée du cinéma d'anticipation : le futur, ce n'est pas le progrès, mais le désastre. La différence, énorme, est qu'Idiocracy ne pose pas l'homme comme une victime du système mais comme le responsable consentant de sa propre régression. Pendant pourri du monde aseptisé décrit par Norway of life, celui d'Idiocracy, nivelé par le bas, est tout aussi inquiétant : Judge maltraite le spectateur en l'obligeant à se reconnaître dans l'attitude débilitante de ces Américains qui ont juste décidé de ne plus se prendre la tête. En plongeant les mains dans le cambouis, en multipliant les gags aussi gras que méchants, Judge pratique la critique par overdose, comme Ferreri ou Verhoeven avant lui : pour dénoncer notre connerie, peut-être faut-il nous la faire bouffer jusqu'à en vomir.


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