Messages in a battle

Musique / Après un premier album tout en hymnes, The Rakes reviennent avec Ten New Messages, chronique glaçante mais combative d'une Angleterre pas suffisamment éreintée pour s'arrêter de danser. La preuve cette semaine dans un Kao promis au chaos. Stéphane Duchêne


Comme beaucoup de leurs confrères (Klaxons, Bloc Party, Damon Albarn), The Rakes et leur deuxième album, Ten New Messages, surfent sur la morosité ambiante de la perfide Albion entre contrecoup des attentats et fin de règne blairiste. Capture/Release, leur disque initial, était un réservoir à tubes concis et efficaces, pressés et rompus au mouvement pendulaire, lorgnant vers d'illustres prédécesseurs post-punk comme Gang of Four, le groupe le plus pillé outre-manche ces cinq dernières années. Sauf que les Rakes déconstruisaient leurs aînés, dépeçaient leurs formules magiques plutôt que de les appliquer sagement. Sur Ten New Messages, les tubes euphoriques s'effacent au profit d'une ligne plus rentrée, moins urgente. On y danse toujours, comme sur le single We Danced Together, mais par habitude, et surtout, sous les bombes, l'hédonisme soiffard faisant place à l'aquoibonisme cicatrisant. D'où cette atmosphère de lendemain d'une fête trop vite interrompue, de réveil en sursaut, retour cruel à la réalité d'une Angleterre qui panse ses plaies : les attentats londoniens de 2005 sont ici décortiqués comme une manière d'exorcisme (On a Mission, When Tom Cruise Cries) dans un nuage opaque qui évoque le Wire arty de 154, autre noble référence. L'anecdote a été maintes fois rapportée, le producteur Paul Epworth dit un jour au guitariste Matthew Swinnerton, des trémolos dans la voix : «Tu fais ce que Bruce Gilbert de Wire faisait il y a vingt-cinq ans, en moderne». Flegme précieuxLes Rakes sont effectivement de leur temps, ont digéré leurs influences quand d'autres les recrachaient. Portés qu'ils sont par deux petits génies également trop malins pour tomber dans le piège de l'album à thèse à la Bloc Party ou se départir de leur ironie : Matthew Swinnerton donc, considéré comme le cerveau du groupe, qui accommode les guitares et Alan Donohoe, chanteur thésard, certes, mais en biologie. C'est sûrement ce dernier qui incarne le mieux ce détachement qui fait la force du groupe et de son propos : Donohoe ne chante pas, il marmonne ses textes d'une voix traînante avec un flegme précieux qui rappelle Jarvis Cocker, le timbre grave et le débit traîne-savates comme un Mark E. Smith (The Fall) aimable. Sur scène, là où le groupe se transcende, ses mouvements répétitifs de bandit manchot épousent stries des guitares et stroboscopes, ses chorégraphies latérales robotisées évoquent un Ian Curtis incrédule et encanaillé. En concert, The Rakes ont pour habitude de clore leur set par le tonitruant This World Was a Mass But His Hair Was Perfect qui ouvre l'album, mélange d'inquiétude sourde et de je m'en foutisme tout en saccade de beats et rafales de riffs. Preuve que l'humour anglais est fils de l'adversité, les Rakes et leur indéfectible sens de la dérision ont compris que du moment que les cheveux restent en place, la fin du monde peut venir. Les méchants ont peut-être les bombes mais, eux, ils ont le peigne. Et ils n'hésiteront pas à s'en servir. THE RAKESAu Ninkasi KaoMercredi 25 avril


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