Féminin pluriel

Musique / Pour sa deuxième édition, le festival D'un Monde à l'autre a choisi d'explorer les musiques du Monde côté femmes. Avec pour chef de file et marraine, la chanteuse et actrice Agnès Jaoui. Stéphane Duchêne


On connaissait déjà quelques événements culturels se conjuguant au féminin, comme le Festival au Féminin ou Les Femmes s'en mêlent, défenseurs d'une parole musicale ou artistique 100 % féminine. On peut appeler ça de la discrimination positive ou y voir un coup de pouce à une représentation plus large du sexe dit faible. C'est en tout cas l'approche qu'a choisie cette année, pour sa deuxième édition, le festival D'un Monde à l'autre. Pour ce faire, il est allé chercher aux quatre coins du monde (Afrique, Amériques, Moyen Orient, mais aussi Europe) des grandes dames de ce que l'on appelle, pour faire court, la world music ou, expression française qui a au moins le mérite de dire la pluralité de ce qu'elle décrit, LES musiques du monde. L'occasion de constater que le genre, s'il en est un, n'est pas en reste en matière de parité et que ces femmes-là n'ont rien à envier à des homologues masculins tels Salif Keita, Femi Kuti ou Tom Zé. Mais avoir pour seul point commun d'appartenir au «Deuxième sexe» décrit par Beauvoir, serait, pour les invitées de ce festival probablement un peu court. Voyage musicalCes femmes-là ont aussi en commun des racines, géographiques ou musicales, trimballées sur plusieurs continents. Soit parce qu'elles ont quitté leur pays d'origine pour d'autres horizons (la Palestinienne Kamilya Jubran, Lilian Vieira de Zuco 103), soit parce qu'elles sont en perpétuel voyage d'un monde à l'autre, d'une musique à l'autre : Ayo entre Afrique et Europe, soul et folk ; Mayra Andrade, jeune capverdienne adepte du mouvement perpétuel. Soit encore, comme Agnès Jaoui, marraine du festival, ou Dee Dee Bridgewater, qu'elles vont puiser dans leurs lointaines racines familiales l'essence d'un voyage musical à la rencontre d'elles-mêmes : Agnès Jaoui, délaissant un temps le cinéma pour s'attaquer à sa passion première, le chant, et aux musiques latines (flamenco, fado, musique cubaine) qui l'ont longtemps bercée. Dee Dee Bridgewater en développant le « projet malien », où elle confronte son passé musical américain (le jazz) à la musique de la terre de ses ancêtres. Démarches d'ouverture, démarches politiques, ou simplement musicales, qui les conduisent parfois à porter dans leurs pays le flambeau de la condition féminine, mais pas seulement : Djur Djura, à travers la défense d'une culture kabyle opprimée, livre également un combat contre toutes les formes d'exclusion liées au sexe, à l'immigration ou à la sexualité. Quant à Malouma, récemment élue sénatrice de l'opposition dans une Mauritanie en proie à l'agitation politique, elle a dû mener un double combat afin non seulement d'avoir le droit de chanter en tant que «femme griot», mais aussi d'imposer un style, ouvrant la tradition mauritanienne sur la musique occidentale, qui ne plaît guère aux tenants de la tradition musicale. Et c'est aussi à cela que s'attache le bien nommé festival d'un Monde à l'autre : cet échange permanent entre la tradition et la modernité, le «Sud» et l'Occident, des femmes singulières qui tendent au féminin pluriel. Festival D'un Monde à l'autre jusqu'au 10 mars.


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Le jazz et la java