Joyeuse racaille


Théâtre / Les villes de province ont ceci de merveilleux qu'il ne s'y passe presque rien. Tout y est confortable, rassurant, et l'on peut passer sa vie à épier celle des autres ou à tester les rapports de force. Quand des ingénieurs des chemins de fer débarquent à Verkhopolié, trou du cul du monde, on imagine sans mal que la petite ville et ses habitants vont s'en trouver tout bouleversés. Curiosité, séduction, haine, une comédie humaine se prépare avec, d'un côté, les paysans vils et les petits-bourgeois médiocres, et, de l'autre, ces «hommes de la ville» qui jettent sur les gens du cru un regard désabusé et cynique. Les relations amoureuses achèvent de rendre à tous cette part d'animalité et de barbarie que le titre nous promet… On a tout lu sur ces Barbares créés cet été en Avignon, écouté les gémissements de nos confrères qui déploraient à l'envi les coupes faites dans le texte de Gorki (la pièce dure tout de même près de trois heures sans entracte), la panne d'inspiration du metteur en scène, la maladresse du jeu. Mais des images qu'il nous offre (la scène des roses plantées dans le sol, magnifique), de l'énergie incroyable avec laquelle la vingtaine de comédiens interprète la pièce, pas un mot. Eric Lacascade nous donne pourtant à voir une fresque grandiose, une pièce qu'il dirige comme on filme et qui accroche le spectateur en dépit de sa longueur. Peut-on encore vraiment reprocher à une mise une scène sa part de «nébulosité», ne peut-on aimer que ce que l'on comprend ? On ose croire que non, et que l'essentiel est ailleurs. Comme l'auteur l'a souhaité, Lacascade montre avec force le triomphe du mépris, de l'indifférence, de la méchanceté et de la bêtise. S'il le montre si bien, c'est sans doute parce que tout cela vaut aussi bien pour aujourd'hui que pour hier.Dorotée AznarLes BarbaresAu Théâtre Les CélestinsJusqu'au 11 mars


<< article précédent
Incorrigible François Curlet