Parler d'amour

Théâtre / Comment parler d'amour sans tomber dans les clichés ou la niaiserie ? Peut-on se contenter de lire des lettres pour emporter et bouleverser le public ? Démonstration avec Jacques Weber et Anouk Aimée. Dorotée Aznar


Sur scène, une immense table de banquet noire sur laquelle ne reposent que les notes des comédiens. Au fond, un lustre qui éclaire à peine et, à chaque extrémité de la table, assises en face du public, deux légendes du théâtre dont les regards ne seront jamais amenés à se rencontrer. La sobriété vire au dépouillement, comme pour souligner que seuls les sentiments ont leur place et que toute minauderie ou tout artifice ne pèserait que comme un poids mort sur cette mise en scène. En ne se regardant jamais, Anouk Aimée et Jacques Weber ne peuvent trouver d'appui l'un dans l'autre, on les sent pourtant se chercher, se fuir, s'étreindre tout au long de cette lecture de quarante années d'échanges épistolaires entre un homme et une femme, de l'enfance à la mort. Avec force et pudeur, les comédiens laissent le champ libre à l'émotion, aux silences et aux rires qui surgissent d'où on ne les attendait pas. Sous nos yeux, ils redeviennent des enfants, simplement, et avec une justesse rare.Amour à l'eauL'histoire n'est pourtant pas très originale. À huit ans, Thomas aime Alexa, la petite fille riche délaissée par ses parents. À huit ans déjà, Alexa n'aime pas écrire. Ils vont grandir, Tom restera ce qu'il a toujours été, un homme sage et mesuré, «un ours dansant au bout d'une corde» qui sacrifie sa vie privée au nom de sa réussite sociale. Elle deviendra une femme drôle et cynique, une artiste tourmentée, s'essaiera parfois avec malheur aux compromis, épousera un homme pour faire chier Thomas mais cherchera toujours à vivre cet amour qu'elle sait essentiel. Thomas, lui, pense qu'ils ne pourront jamais vivre ensemble, qu'ils se sont trop attendus, trop cherchés, trop fantasmés. Elle refusera de le croire et passera sa vie à l'attendre. De rendez-vous manqués en rendez-vous ratés, il ne trouvera jamais la force, le courage ou l'occasion de vivre son amour d'enfant. Il le regrettera. Trop tard bien sûr, comme dans toutes les histoires d'amour qui se respectent. Alors certes tout cela n'est pas révolutionnaire mais inutile de lutter, vous êtes pris dans le jeu. Le rideau se ferme, les spectateurs sont moins bavards en sortant du théâtre qu'en y entrant, Anouk Aimée et Jacques Weber ont réussi leur pari. Donner aux mots d'Albert Ramsdell Gurney une profondeur inattendue et bouleversante.Love letters, au Théâtre les CélestinsJusqu'au 18 févrierInvitation à Anouk Aimée, à l'Institut LumièreMercredi 14 février à 21h


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