Un peu plus près des étoiles

Enquête / Dans quelques mois, un pôle audiovisuel devrait voir le jour sur les cendres des anciens Grands Moulins de Strasbourg, à Villeurbanne. Mais les travaux sont à peine entamés que certains professionnels du cinéma redoutent que ce pôle ne soit un coup d'épée dans l'eau. Dorotée Aznar & Dalya Daoud


Un grand projet d'implantation de pôle audiovisuel agite en ce moment le petit monde du cinéma rhônalpin. Alors que les travaux de démolition ont débuté sur le site concerné, les anciens Grands Moulins de Strasbourg à Villeurbanne, et pour comprendre les enjeux complexes de ce futur pôle, un petit retour en arrière s'avère nécessaire. Été 2004 : le Grand Lyon se porte acquéreur d'une friche industrielle, les Grands Moulins de Strasbourg, pour un montant de 780 000 euros. La friche étant située dans la zone du Studio 24 et de Rhône-Alpes Cinéma, l'idée d'en faire une vaste zone dédiée au cinéma fait naturellement son chemin. Le Grand Lyon lance alors un appel d'offres en direction des acteurs culturels, dans la plus grande discrétion. Deux candidatures sont ensuite retenues, dont celle de Rhône-Alpes Cinéma, qui gère déjà le Studio 24 et souhaite l'associer au vaste pôle en projet. Et puis Zorro est arrivéAu même moment, Alexandre Astier fait savoir qu'il souhaite rentrer à Lyon pour y poursuivre sa série, Kaamelott. Et personne n'a l'intention de laisser filer l'enfant prodigue, accueilli à bras ouvert au Studio 24, qu'il permet en outre de faire tourner plus aisément. Le Grand Lyon décide logiquement de suspendre son appel d'offres pour laisser place à un nouveau projet, porté par Joëlle Sevilla, productrice lyonnaise de Kaamelott (et mère d'Alexandre Astier) et Jean-Yves Robin, producteur de la série télévisée. Ce projet prend le nom de Picsel et vise à rassembler les forces vives du cinéma en Rhône-Alpes autour, notamment, de trois studios de cinéma et d'un centre de recherche et de formation. Le projet que Rhône-Alpes Cinéma avait proposé est écarté mais l'on propose quand même à la société d'exploiter les futurs studios, en plus du studio 24. La société ICADE, investisseur immobilier, propose d'y mettre des billes. Et c'est alors que tout se complique. Le Grand Lyon met en effet gracieusement à la disposition de la société ICADE les terrains (pour une durée de 60 ans), mais demande en échange la réalisation du fameux pôle cinéma-audiovisuel, qui a de grandes chances de devenir un outil de rayonnement politique. Or, l'investisseur immobilier est un pragmatique : quand les bureaux seront construits, il faudra bien les remplir, cinéma ou pas. Laurent Doyat, de la société ICADE, explique en effet qu'il compte construire deux nouveaux studios qui, a priori, seront gérés par Rhône-Alpes cinéma. «Il y aura également d'autres locaux, ajoute-t-il, principalement destinés au secteur de l'image. Nous avons une forte préférence pour ce domaine, mais si, une fois construits, les bâtiments restent vides, il faudra se tourner vers d'autres activités. J'investis 23 millions d'euros sur ce projet et mon métier c'est l'immobilier, pas le cinéma». L'objectif restera donc la rentabilité, bien que plusieurs entreprises régionales de l'audiovisuel soient déjà sur les rangs, s'imaginant bien emménager dans ce futur pôle (voir encadré).Des pixels dans le potageInterrogée sur l'évolution du projet, Joëlle Sevilla elle-même avoue ne plus guère être consultée par les collectivités. Picsel a donc pour le moment des allures fantomatiques, d'autant plus qu'Alexandre Astier achève les tournages de la série Kaamelott fin 2007, et que son futur long-métrage pourrait se faire ailleurs que dans ces studios. Or, une fois les nouveaux studios construits, il faudra veiller à les louer. Marc Guidoni, producteur, et repreneur du cinéma le Comoedia (Lyon 7e), a bien cerné le problème : «il ne faut pas forcément compter sur Kaamelott, mais plutôt profiter de cette chance pour rebondir. Il faut désormais lancer une dynamique, et se battre pour que ça marche». En doute-t-il ? «Rhône-Alpes cinéma n'a pas forcément montré de talent particulier pour attirer des clients, jusqu'à aujourd'hui. Il faut réfléchir à l'après Kaamelott et penser pérennité. Mais il faut que ce pôle existe», affirme-t-il. Une seule certitude: si l'on construit ce pôle sans consulter les professionnels du cinéma et en pensant que la manne Astier est inépuisable, on risque fort de déchanter. Pour Christophe Jaillet, responsable CGT du Syndicat français des artistes, «la Région a de grandes ambitions, profitant de l'arrivée de Kaamelott. Il faudrait désormais que 95 % des gens qui travaillent en Rhône-Alpes ne soient pas obligés de partir à Paris». Des propos appuyés par Joëlle Sevilla qui déclare : «personne n'a cru que l'on pouvait trouver autre chose que des larbins dans la région. Le résultat, c'est que les créateurs sont obligés de partir et que ce sont les films parisiens qui viennent bouffer l'argent des bouseux. Si l'on construit un pôle audiovisuel, il faut que ce soit un projet industriel et pas un projet immobilier». Si l'on en croit les dires d'Isabelle Chardonnier, Directrice de la Culture à la Région Rhône-Alpes, «ce projet existe parce que Kaamelott est là». Il faudrait sans doute penser à ce qu'il deviendra si Kaamelott n'y est plus. Une question à laquelle les professionnels du cinéma ne demandent d'ailleurs qu'à tenter de répondre, lors d'une véritable concertation. «Rater un tel projet serait consternant», conclut Joëlle Sevilla. Difficile de la contredire...


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