Sous le verre de Rozet

Expo / Le photographe Yves Rozet expose ses polyptyques au Réverbère. Œuvres superbes, émouvantes et énigmatiques. Jean-Emmanuel Denave


À travers les portes ouvertes d'un cabanon, on aperçoit au loin la mer. Sur une deuxième photographie, noir et blanc cette fois-ci : la mer plein cadre et quelques mouettes voltigeant au-dessus. L'un des volatiles apparaît ensuite en gros plan sur une troisième image... Ce triptyque poétique est emblématique de la démarche photographique d'Yves Rozet : découpage du temps et de l'espace, fragmentation du regard, association baroque de la couleur et du noir et blanc, grande place laissée au mystère, au vide, aux «trous» du sens... Comme si l'artiste composait des puzzles, entre imaginaire et réalité, dont les différentes pièces (les différentes images) ne s'emboîteraient pas tout à fait les unes avec les autres, laissant leurs fêlures et leurs blessures à ciel ouvert. D'où une sorte de silence qui règne sur cette exposition : le bruit de la réalité toujours se dérobe, la fiction toujours reste inachevée. Le regard déambule et se perd dans un monde fait surtout de sensations, de couleurs, de surfaces, de matières... De personnages qui apparaissent aussi parfois dans la première image d'un diptyque, pour disparaître dans l'autre. Ou bien, dans un autre polyptyque, c'est un visage féminin qui se reflète à la surface embuée d'un miroir : à proximité de ce portrait en couleur, trois images noir et blanc déstructurent un obscur espace sous-terrain, le reflètent sur des surfaces liquides, désorganisent ses perspectives. Passeur d'imagesYves Rozet (né à Lyon en 1953, formé à l'Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris) travaille, dit-on, avec une infinie méticulosité et précision, repérant longuement ses lieux de prises de vue, attendant la saison idoine afin de capter certaines lumières, dessinant ses projets avant leur réalisation. L'artiste est aussi un coloriste qui exécute fréquemment des aquarelles parallèlement à ses photographies. Cette veine plastique et cette patience se retrouvent dans ses polyptyques faits de différentes strates de temps, d'une pluralité d'approches esthétiques, et qui s'avèrent souvent tout simplement très beaux. L'image ne cesse d'y passer d'un cadre à l'autre, de présence en absence, d'hier à aujourd'hui, d'un fragment l'autre... Comme l'écrit le photographe lui-même, ses figures sont «déliées» et se présentent «sur un fond sans fond» : ses images sont autant de minces surfaces flottantes, toujours mises en abyme, incertaines, fragiles... Yves Rozet écrit encore : «Je tente de déliter le réel, d'aggraver en quelque sorte son irréalisation photographique. Pouvoir de suggestion d'images libres et émancipées qui stimulent des jeux possibles entre réel, imaginaire et mémoire». Tentative fort bien réussie.Yves Rozet À la Galerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau, Lyon 1er Jusqu'au 24 février


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