Et surtout, la santé

Entretien / Denise Chalem, auteur, metteur en scène et comédienne, revient sur le succès de Dis à ma fille que je pars en voyage. Propos recueillis par Dorotée Aznar


Dis à ma fille que je pars en voyage est une rencontre improbable entre deux femmes qui n'auraient jamais dû se connaître. Dominique est issue d'un milieu populaire, n'a connu que la pauvreté et la violence tandis que Caroline est une bourgeoise, préservée par la vie. Pendant plusieurs mois, elles vont partager 9 m2 et une solide amitié va se nouer entre elles.PB : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur l'univers carcéral et quelle connaissance en avez-vous ?Denis Chalem : C'est toujours difficile de savoir ce genre de choses... D'abord on a un coup de cœur pour un univers puis on mesure les conséquences. Il y a deux ans, l'univers des prisons a été soudain très «à la mode» ; notamment après la publication du livre de Véronique Vasseur sur la prison de la Santé. J'ai beaucoup lu, vu des reportages et j'ai constaté que l'on parlait très peu des prisons de femmes, comme si cette réalité n'existait pas. Je suis donc partie à la recherche de paroles de femmes, je me suis documentée pendant deux ans. Je voulais que ce que je raconte soit vrai, or, on n'entre pas si facilement dans les prisons. Je ne voulais pas sombrer dans le pathos ; il y a beaucoup d'humour dans la pièce, afin de rendre cette violence supportable. Les lumières qui s'éteignent sans cesse, le bruit permanent...Dans votre texte, il y a beaucoup de non-dits, les gestes sont aussi importants que la parole...Un espace aussi petit que celui de la cellule laisse l'opportunité de travailler sur le corps, de laisser parler le corps. En général, au théâtre, on accorde beaucoup plus d'importance aux dialogues mais dans cette pièce, les gestes du quotidien ont une importance énorme, notamment puisque l'on évoque l'intimité violée. Ainsi, des scènes entières sont composées de didascalies ; pour moi, c'est quand même du dialogue. Les premières scènes sont presque muettes car le nouveau qui arrive dans une cellule, c'est l'ennemi et quand la parole arrive, elle est forcément agressive.De qui vous êtes-vous inspirée pour créer le personnage de Caroline ? On pense évidemment à Deviers-Joncour....Il y a eu plusieurs femmes qui m'ont inspirée : Christine Deviers-Joncour mais aussi Louise-Yvonne Casetta, ex-trésorière du RPR ou cette femme qui jouait aux courses et qui raconte que, lorsqu'elle était en prison, la surveillante voulait casser de la bourgeoise et la réveillait toutes les heures pour la pousser à bout. Caroline est comme cette femme, elle veut continuer à s'habiller, elle arrive en prison avec sa dignité, sa propreté, voire sa stupidité. Mais elle est maligne et tout en gardant son éducation, elle comprend très vite le mode de fonctionnement de la prison : «ou on s'adapte, ou on meurt», et elle devient parfois plus voyou que Dominique...Au départ vous ne jouiez pas le rôle... Vous aviez finalement envie d'incarner ce personnage ?Au début, j'étais de l'autre côté de la caméra. Ce texte, je ne l'ai pas écrit pour moi, j'ai du mal avec cette idée et je pense qu'il n'est pas facile de jouer son propre texte. En mettant en scène mon texte, j'avais oublié que j'étais comédienne. Le travail de création a été très complexe : la bande son, le décor... En prison, on voit très mal, c'est comme un brouillard de lumière électrique et je voulais recréer cela, et des images fortes. En fait, cela a été à la fois très facile et très difficile de m'approprier ce rôle car cet univers m'était devenu familier et, en le jouant, je devais le découvrir pour la première fois...Parlez-nous de Christine Murillo, qui interprète le rôle de Dominique. Nous nous sommes connues au Conservatoire, puis perdues de vue. Quand j'ai décidé de mettre en scène Dis à ma fille, le choix de Christine s'est imposé : elle est tout sauf un modèle de femme rétréci. Elle était parfaite pour parler de l'abandon en prison, quand on lâche tout. Sur scène, je voulais deux cow-boys, pas des femmes mignonnettes...Vous parlez souvent de caméra... Vos choix de mise en scène, votre regard sur ce huis clos fait penser souvent au cinéma...Je suis fascinée par le temps. Cela pose une vraie question au théâtre : comment faire passer le temps, comment utiliser les ellipses ? C'est un procédé plus cinématographique que théâtral.Montrer des scènes de la vie quotidienne, c'est beaucoup plus difficile au théâtre. Au cinéma, une femme qui va aux toilettes, on la cadre comme on veut, au théâtre, on peut très facilement tomber dans l'obscénité. Je pense avoir fait un travail sur le corps que l'on ne rencontre pas beaucoup au théâtre. Je songe à en faire un film, je travaille sur un story board mais je ne sais pas encore bien comment transposer la pièce au cinéma ; je ne veux pas faire de théâtre filmé, ni un documentaire amélioré.Espériez-vous un tel succès ?Au départ, on m'a dit que l'idée de la prison allait faire peur au public mais je ne le pensais pas. Cette pièce n'est pas tragique, on rit beaucoup ! Et le bouquin de Véronique Vasseur n'a pas été lu que par des spécialistes... En revanche, je ne m'attendais pas à une telle unanimité. Cela montre que les Molière restent une cérémonie importante, surtout pour le public non-spécialiste. Cela permet d'instaurer la confiance. Il y a d'ailleurs des publics très différents dans les salles, certains oublient même où ils sont et commentent la pièce en direct ! Sans mauvais jeu de mots, je crois que ce spectacle a la santé !Dis à ma fille que je pars en voyageTexte et ms Denise ChalemAu Théâtre les Célestins, jusqu'au 14 janvier


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