La laisse à désir


Expo / Malaise dans la civilisation. Retour à Freud, à Œdipe et aux inexorables repas de famille où le désir fait le dos rond à sa part d'animalité... Dans une vidéo d'Isabelle Lévénez (née en 1970), une famille mange sa soupe d'abord ! En silence ou presque (on entend seulement le cliquetis des cuillères sur les assiettes) et au ralenti. Sauf que l'artiste a dénudé papa, maman et leur fiston, et a recouvert leurs visages de masques d'animaux (lapin, âne et loup)... Et que, bientôt, un hurlement viendra brusquement déchirer la saynète en deux : d'un côté les bonnes manières sans les coudes sur la table, de l'autre cet animal qui hurle en nous et ne sait par où s'échapper. L'œuvre s'intitule animaux domestiques, et dit ainsi assez bien le conflit entre la violence des pulsions et la conscience humaine, les désirs et la laisse morale qui les retient. Dans une autre vidéo, une jeune femme (toujours dénudée et masquée) prenant son petit-déjeuner sur sa terrasse, éventre soudain la miche de pain posée devant elle. Des photographies représentent encore d'autres personnages nus et masqués mangeant, buvant, maculés d'une substance lactée qui lorgne ostensiblement vers le foutre. Les images fixes ou en mouvement ralenti de l'artiste semblent d'abord un peu trop clean et léchées, mais disent au fond assez bien ces désirs et cette part d'animalité qui étouffent dans les cuisines et les salles à manger, stérilisées dans un monde trop lisse, et qui ne peuvent s'exprimer qu'en spasmes explosifs, brusques, brutaux. Isabelle Lévénez se laisse un peu plus de liberté dans ses très beaux dessins à l'encre et à l'aquarelle rouge : silhouettes écarlates de loups anthropomorphes ou portraits simplifiés d'une «femme au visage rouge» dégoulinante de longs cheveux charbonneux et de coulures charnelles et sanguinolentes. Jean-Emmanuel DenaveIsabelle Lévénez Au Bureau pour l'Art ContemporainJusqu'au 20 janvier


<< article précédent
Les Nouvelles stars