Classe classique

Expo / Le Musée des Beaux-Arts consacre une vaste rétrospective à un peintre d'origine lyonnaise quasiment inconnu : Jacques Stella (1596-1657). Un classique «pur beurre» qui se révèle aussi audacieux, drôle et attentif à la vie de son époque. Jean-Emmanuel Denave


Artiste largement tombé dans les oubliettes de l'histoire de l'art, vieux garçon au caractère réputé froid et maladif, peintre ordinaire du roi sous Richelieu, proche des pouvoirs politiques et religieux, Jacques Stella n'est pas l'artiste le plus émoustillant que l'on puisse imaginer ! On le découvre d'ailleurs, dans une première salle du musée, à travers un portrait aux forts relents œdipiens : le teint pâle et le regard fuyant, il se tient, tristounet et apeuré, aux côtés de sa mère qui, elle au contraire, nous fixe de son regard dur, glacial, inquiétant. Dans l'ombre de maman, Stella est aussi resté longtemps dans l'ombre de Nicolas Poussin (dont il était l'ami proche, et dont il achetait et revendait les œuvres), avec qui on le confond souvent. Ou que l'on considère comme un simple suiveur du grand maître français du classicisme. Les marchands allaient jusqu'à effacer son nom sur ses gravures pour le remplacer par celui de Poussin afin d'en obtenir un meilleur prix ! Ni vu ni connu : tour de passe-passe commercial symptomatique de son statut de peintre biffé par le temps, négligé, fantomatique. Alors pourquoi l'exhumer ? Parce qu'il s'agit «d'un des grands peintres du XVIIe siècle injustement oublié par les historiens d'art, auteur d'une œuvre extrêmement variée», s'enthousiasme Sylvain Laveissière, commissaire général de l'exposition. Et parce qu'en effet, parcourant l'exposition, nous tombons peu à peu sous le charme calme et harmonieux des œuvres de Jacques Stella. Impressionnés par leur lyrisme contenu, la virtuosité du dessin et la beauté (oui la «beauté» tout simplement) de certaines grandes toiles. Rationalité et sérénitéL'exposition, sobrement mise en scène, rassemble quelque deux cents œuvres, dont beaucoup d'encres et d'estampes superbes. Ici, l'histoire de l'art s'écrit sous nos yeux ou presque : certaines œuvres ont été récemment attribuées à l'occasion de la préparation de la rétrospective, d'autres sont encore controversées ou demandent à être plus précisément datées... Le parcours est à la fois chronologique et thématique : des débuts du peintre à Lyon et sa première formation à Florence jusqu'à ses dernières séries gravées, en passant par son long séjour à Rome (étape incontournable pour tous les artistes français à l'époque), sa carrière parisienne, ses grandes peintures d'église (nous sommes alors en pleine période de la Contre-Réforme où l'église catholique tente de reconquérir ses ouailles par le biais, notamment, de l'art et d'une imagerie efficace quasi publicitaire), l'influence de Poussin... Comme chez ce dernier et dans la lignée du classicisme français, nombre de toiles de Stella se caractérisent par leurs perspectives rigoureuses, leur style pur et linéaire, la délicatesse des lumières et des expressions, la précision incroyable des détails... Son David et Bethsabée est sans doute un des sommets du genre (voir notre petit commentaire). Le XVIIe siècle de Stella est le siècle de Descartes, Racine et Corneille : celui des clartés et des évidences de la raison, des harmonies raffinées et des rythmes réguliers. Même les passions les plus tapageuses et tourmentées passent par le tamis de la versification, de la rigueur du langage ou de la touche. Au-delà de l'esprit géométrique du Siècle, on remarque aussi chez Stella la forte influence de Raphaël, tout particulièrement dans ses innombrables Vierges à l'enfant empreintes d'une émouvante et sereine douceur.Chemins de traverseLes scènes bibliques ou antiques de Stella s'avèrent généralement d'une beauté et d'une maîtrise impressionnantes. Jusqu'à plus soif ! Mais l'exposition recèle aussi bien des surprises, comme, par exemple, le travail étonnant du peintre sur des matériaux inhabituels : cuivre, ardoise, pierre, marbre... Sur ces supports presque vivants, Stella joue avec les textures, l'oxydation, les marbrures, donnant à certaines représentations religieuses des allures presque surréalistes. Ailleurs, la violence et le mouvement se déchaînent quelque peu : on danse dans les vapeurs du stupre et de l'alcool chez le vieux roi Salomon ; les Romains ne respectent guère les Conventions de Genève dans l'Enlèvement des Sabines (reprise du célèbre tableau de Poussin) ; la grisaille (un procédé tout en dégradés de gris bleu, presque monochrome) du Massacre des innocents a des airs d'apocalypse définitive ; une série de gravures consacrée à la Passion du Christ grouille de personnages virulents et pleins de fureurs... Stella est un artiste qui ne manque pas non plus d'humour, représentant avec ironie la mort en astrologue, ou agrémentant sa délirante Tentation de Saint-Antoine d'une sorte de singe présentant son postérieur planté d'une bougie allumée ! Il croque encore les travailleurs de son temps, quelques paysages paisibles et montre l'envers du décor de la Grande Histoire à travers une série gravée de scènes pittoresques (sans doute utilisée pour l'illustration d'un calendrier) : vendanges, mariage, travaux des champs, veillée à la ferme, repas dominical, moissons... Des images devenues d'Epinal certes, mais ici d'une humanité poignante et regorgeant d'anecdotes vivantes. Bref, si Stella impressionne d'abord par sa belle voie personnelle tracée dans l'univers du classicisme, il charme aussi par les multiples petits chemins de traverse empruntés à l'occasion d'études, d'esquisses ou d'œuvres plus modestes. Jacques Stella Au Musée des Beaux-Arts de LyonJusqu'au 19 février


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