Morts de rire ?


Danse / La lecture de Beckett irrigue et traverse l'ensemble des créations de Maguy Marin. En 1980, la chorégraphe inventait en une heure, fulgurante, le projet May B, de but en blanc inspiré des personnages et des œuvres de Beckett. Aux confins du théâtre et de la danse, May B donne corps à une sidérante parade de loqueteux cherchant en eux-mêmes, dans la poussière et l'obscurité, quelque ersatz d'humanité et d'espoir métaphysique. Considéré à juste titre comme un chef-d'œuvre, cette pièce a été dansée plus de 500 fois dans le monde entier et le sera une fois de plus au Toboggan cette semaine. Parallèlement, la chorégraphe présente une de ses dernières créations, Ha ! Ha !, malicieusement annoncée comme une «étude sur le rire». C'est en réalité une étude, ô combien caustique et acerbe, sur notre époque surfant sur ses angoisses et ses tragédies à grands coups de blagues à Toto, à Belges et à blondes. Ha ! Ha ! s'avère de loin la pièce la plus âpre de Maguy Marin, et les amateurs de pirouettes et d'entrechats passeront leur chemin. Une grande part de son intérêt réside dans la mise sous tension quasi insoutenable de la scène : pantins patibulaires assis de dos comme un double parodique du public, tic tac glaçant d'un métronome pour seule musique tel le décompte d'une catastrophe annoncée, lumière jaunâtre d'un projecteur balayant le plateau comme l'enceinte d'un lieu carcéral... À droite, sept danseurs vêtus en concertistes classiques prennent place chacun derrière un pupitre pour jouer, une heure durant, leur insupportable et ahurissante partition de blagues et de rires. Le chorégraphique se résume ici aux mouvements des zygomatiques, à l'essoufflement des interprètes et au craquement déchirant des corps sous le poids de la bêtise... Ha ! Ha ! : un fracassant requiem pour des cons. Jean-Emmanuel Denave Maguy Marin Ha ! Ha ! le 13 décembre, May B le 15 décembreAu Toboggan de Décines


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