De plus en plus Roots

Musique / Dix ans après leurs débuts, The Roots reviennent en force avec Game Theory, un album sombre où leur rap se fait beaucoup plus politique, massif et percutant. Christophe Chabert


En 1995, quand The Roots sortent Do you want more ?!!!??!, leur premier album, le rap n'en finit plus d'exhumer des disques du grenier pour y piquer des lignes mélodiques, mettant le tout en boucle sur un beat massif, avec en fond la vieille querelle east coast/west coast et la mode du gangsta rap, tout ce folklore qui fit, pour le meilleur et pour le pire, la légende du hip-hop. Les Roots sont loin de tout ça : ils vivent à Philadelphie, et pour eux, la musique est avant une question qui se règle en live, avec de vrais instruments et une énergie pas trafiquée : pas de samples, pas de boîtes à rythme sur Do you want more ?!!!??!, donc rien moins qu'une petite révolution. Du coup, comme souvent, leur premier essai reçoit les éloges des amateurs d'indie music et le dédain des fans de rap, et ce sont les scènes rock et jazz qui leur ouvrent les bras. Il faudra du temps pour que les deux se rejoignent, le temps que le monde du rap se lasse aussi des formules éculées aux productions standards. Mais le groupe n'a pas forcément été à la hauteur des espérances placées en lui : les trois albums suivants n'ont fait que conforter une formule qui, au fil du temps, perdait un peu de sa pertinence initiale.Remise en jeuAvec Game Theory, The Roots mettent cartes sur table : déjà, la signature chez Def Jam, très gros label rap mais plutôt classique dans ses choix, avait de quoi surprendre. L'écoute de l'album va dans le même sens : nerveux, politique, loin des envolées mystiques du précédent Phrenology, il est surtout... bourré de samples ! Et pas n'importe lesquels... Ici, Kool and the gang et Radiohead sont accueillis avec la même hospitalité, sans parler des nombreux emprunts à quelques raretés disco-soul. Plus encore, les morceaux de Game Theory témoignent d'un désir de revenir à un hip-hop qui n'a pas peur de frapper fort à l'estomac. Don't feel right a quelque chose à voir avec Public Ennemy, False media rappelle les tentatives «vocales» de Dj Shadow sur son sous-estimé The Private Press... Et cela n'est rien par rapport aux véritables déflagrations que sont le single In the music avec ses beats indus et ses textes revendicateurs ou Here I come où le flow atteint une urgence et une brutalité qui devraient laisser pantois tous ceux qui voyaient The Roots comme un groupe de rap rassurant. Le disque se termine par un long hommage mélancolique à J Dilla (alias JayLib ou Jay D), producteur, MC et grande influence du groupe, récemment décédé. Peut-être trouve-t-on ici la clé de ce nouveau visage des Roots : comme si ce deuil leur avait redonné l'envie d'aller au charbon, d'en découdre à nouveau, et de refaire un peu de théorie pour montrer qu'ils ne pouvaient être réduits à leur brillante pratique de la musique.The RootsLundi 4 décembre au Transbordeur«Game Theory» (Def Jam/Barclay)


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Le goût amer de la vengeance