«Il n'y a pas d'esthétique sans politique»

Entretien / Rocé, rappeur, auteur d' «Identité en crescendo». Props recueillis par Stéphane Duchêne


Quel est le sens du titre Identité en Crescendo ? ROCE : La société a tendance à nous mettre dans des cases, générationnelles, sexuelles, communautaires, comme on met des objets dans des rayons. De là naît le piège de l'intégration. Ce titre est une manière de montrer que dans une société qui ne pense pas à l'épanouissement des individus, on peut créer ses propres cases, se construire une identité multiple.C'est ce besoin d'ouverture qui t'a poussé à aller vers le free jazz ?Oui. Mon pari, c'est de donner à l'auditeur l'envie d'écouter une musique qui le perd, qui n'entre justement dans aucune case. Et puis pour moi, esthétique et politique sont indissociables. Il n'y a pas d'esthétique sans intention, quelle qu'elle soit. Le free jazz est né d'une ambition politique qui a accompagné le mouvement des Black Panthers et les luttes pour les droits civiques. Un type comme Archie Shepp, présent sur deux titres de l'album, a su rester fidèle à ses idées depuis quarante ans. C'est un exemple d'intégrité. Je ne suis pas sûr que dans dix ans la plupart des rappeurs puisse assumer leur discours comme le fait Archie Shepp. Il y a dans tes textes beaucoup de références politiques et littéraires qu'on a peu l'habitude d'entendre dans les albums de rap...Qu'on n'a même pas l'habitude d'entendre tout court ! Ce sont des références taboues. Qui, aujourd'hui, connaît Olympe de Gouges, pionnière de l'anti-esclavagisme et auteur de la Déclaration des Droits de la Femme ? D'un côté la France clame qu'elle a inventé la Liberté mais l'Histoire qu'on nous enseigne à tendance à oublier ce type de personnages. Comment tu te situes dans le paysage rap actuel ?Mon rap se rapproche des premiers albums de NTM ou d'Assassin, dont le discours était plus riche que le rap d'aujourd'hui qui est devenu une musique formatée pour les ados. S'ils sortaient les mêmes albums aujourd'hui on les traiterait d'intellos, comme on le fait avec moi. À l'époque, le rap était un contre-courant qui secouait les idées reçues. C'est ce que j'essaie de perpétuer.


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