L'art d'être bref

Rencontre / La Villa Gillet propose une soirée de réflexion sur l'art de la nouvelle, avec quatre écrivains adeptes de la forme courte, pour tenter de cerner les enjeux et les caractéristiques d'un genre littéraire en ébullition. Yann Nicol


Pour ses vingt ans, la Villa Gillet a placé l'année sous le signe du lien ambigu et fondamental qui unit la littérature et le réel. Avant de débattre de cette question dans l'univers romanesque lors des Assises internationales du printemps, elle nous propose d'appliquer ce thème à une autre forme littéraire, plus brève, plus dense aussi : la nouvelle. Quatre nouvellistes seront présents mardi 28 novembre pour dire les raisons qui les ont mené à choisir ce format : les Français Frédéric Boyer et Geneviève Brisac, la Néo-Zélandaise Kirsty Gunn et l'Américain David Means. Mais que propose la nouvelle, pour dire le monde, face à l'ampleur, l'amplitude même, de l'art romanesque. Que révèle la nouvelle des tréfonds de l'âme et de la nature humaine, elle dont les personnages ne sont qu'ébauches, instantanés, fragments ? Que dit-elle de la complexité, justement, du réel ? Beaucoup plus que ce que l'on croit, en réalité. Pour David Means, c'est justement dans cette idée de fragments que réside son pouvoir : «La nouvelle trouve sa force dans le coup d'œil voyeuriste, dans le fait d'accepter que l'on ne peut pas tout connaître, et que la nature de la condition humaine ne peut-être révélée que par des instants poétiques et fragmentés dont nous sommes les témoins». Le Poisson secret, son dernier recueil publié chez Gallimard, qui oscille entre différents registres littéraires et multiplie les univers, illustre cette capacité à représenter l'universel par l'infime.Une autre vision du mondePour Frédéric Boyer, la nouvelle se rapproche au plus près du rêve inaccessible de tout écrivain : dire le monde en une phrase. Une notion de flash qui est la base même de la littérature : «L'archéologie intime du récit est marquée de ces formes brèves, de ces fulgurances. Toute pensée humaine est hantée par ce fantôme du bref qui est au cœur du phénomène de la réminiscence. Une vision, une couleur, une émotion...». Ce qui ne signifie pas, selon lui, que la brièveté est synonyme de raccourcissement et de simplification. Elle invente au contraire une autre façon de traiter le temps en imposant une vision du monde complexe, singulière et subversive, là où le roman aurait, du fait de son «institutionnalisation», tendance à la normaliser : «Ce qu'en français on appelle «la nouvelle» n'est pas simplement une miniaturisation du monde romanesque. C'est une nécessité pour nous dégager des modèles communs de l'amnésie commune», dit Frédéric Boyer pour insister sur cette dimension. Ce n'est pas pour autant que l'écriture en prose se divise entre nouvellistes et romanciers. Nombreux sont ceux qui explorent les deux voies, dans une recherche constante d'une forme juste et d'un format leur permettant de rendre compte d'un réel auquel la littérature ne cesse de se mesurer.Short Stories : le choix des histoires courtesÀ l'Institution des ChartreuxMardi 28 novembre, à 19h30


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