Sexe faible, peinture forte

Expo / Lyonnais encore un effort : il vous faudra vous déplacer à Villefranche au Musée Paul Dini pour voir l'une des plus belles expositions du moment. Et découvrir quatre drôles de dames-artistes injustement oubliées. Jean-Emmanuel Denave


«Dieu ! qu'elle est bien Mademoiselle Charmy, mais je ne peux supporter qu'une femme ait plus de talent que moi !», s'exclame le peintre Heuzé. C'est dire l'esprit machiste d'une époque (le début du XXe siècle) où les critiques se sentaient obligés d'utiliser l'expression «elle a un style viril» dès qu'ils décelaient quelque talent chez une artiste, et où les académies de peinture interdisaient encore aux étudiantes de travailler avec des modèles nus... Si l'exposition du Musée Dini n'est pas à proprement parler féministe, elle s'emploie à sortir de l'oubli quatre grandes artistes (Jacqueline Marval, Emilie Charmy,Georgette Agutte et Suzanne Valodon, même si celle-ci est moins méconnue que les autres), et pose la question de leur rôle et de leur influence auprès de l'avant-garde artistique des années 1900-1930 qu'elle fréquentèrent de très près (ces Fauves aux couleurs criardes et osées que sont Matisse, Marquet, Van Dongen...). Au-delà, cette exposition est surtout l'occasion de découvrir, à travers une centaine de toiles, quatre œuvres fortes, différentes, étonnantes. Signées par quatre personnalités aux caractères bien trempés et aux mœurs sentimentales très libres. Charmeuse CharmySuzanne Valodon (1865-1938) ouvre le bal avec beaucoup d'aplomb : paysages et portraits aux masses solides comme du roc, cernes noirs épais, touche sûre et vigoureuse. Cadrée de près, sa Femme aux bas blancs percute le regard comme un direct du droit. Et sous l'influence de Degas, l'artiste se laisse aller aussi à des dessins plus doux : des nus superbes comme suspendus au sein d'une douce torpeur, d'une lente sensualité. Les corps blanchissent, s'étirent, jusque parfois à un maniérisme déconcertant (bras démesurés et coiffes loufoques, visages hiératiques), chez Jacqueline Marval (1866-1932). L'habituée des folles soirées avinées de Van Dongen est à l'origine d'une œuvre tellement hétéroclite qu'il est difficile de la définir : en plus des toiles au maniérisme outrancier, elle compose d'étranges petits portraits, de belles Odalisques proches d'Ingres, de grandes scènes de plage fourmillant de personnages... Mais l'on retiendra surtout trois petits tableaux où les personnages et les formes vont se fondre parmi la matière et la lumière, le sable, le soleil et la mousse océane. Une peinture allée avec l'écume d'une surprenante modernité. Georgette Agutte (1867-1922) s'avère, elle, moins audacieuse, reprenant, (mais avec brio), les techniques néo-impressionnistes... Enfin, coup de cœur et coup de sang de l'expo pour la dernière des quatre, l'orgueilleuse et sensuelle Emilie Charmy (1878-1974) ! Ses portraits et autoportraits sont empreints d'une morgue frappante. Ses nus palpitent, vibrent, embrasent les sens : qu'ils représentent des scènes de bordel sulfureuses enfumées d'opium, ou bien de languides jeunes filles allongées, abandonnées au sommeil après l'amour. La peinture devient ici un acte voluptueux, une jouissance du regard.Les femmes peintres et l'avant-garde, 1900-1930Suzanne Valadon, Jacqueline Marval, Emilie Charmy et Georgette Agutte Au Musée Paul-Dini à Villefranche-sur-Saône, jusqu'au 11 février


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L'art d'être bref