Bamako


Critique / Nous sommes dans la cour d'une maison africaine, à Bamako ; ici se tient un procès exceptionnel : l'Afrique attaque la Banque Mondiale et le FMI. Nous en sommes aux plaidoiries, et Maître William Bourdon, qui représente l'accusation, fait la synthèse de ce que l'on vient d'entendre en apostrophant la défense (mais surtout le spectateur) sur ses clichés sur les citoyens africains, que l'on aime encore se représenter comme des irresponsables et des inconscients. Reproduction subtile du cliché colonialiste qui arrange tout le monde, de droite (ces sauvages...) comme de gauche (ces pauvres gens...). Eh bien voilà, ne serait-ce que pour cela, Bamako est un grand film, car il est cet espace de libération d'une parole jusque-là inaudible, celle de l'Africain ordinaire qui, par sa vision éclairée du devenir de son peuple, ridiculise tout ce que l'on a pu dire, écrire et penser sur lui. Par extension, Sissako offre aussi la parole à un cinéma africain invisible en lui rendant via ce film-monde toute sa grandeur. Ne serait-ce que cela... Mais Bamako, c'est beaucoup plus. Car ce procès passionnant, fictif mais vécu littéralement par les intervenants (vrais avocats et vrais témoins) est sans arrêt interrompu, ponctué, perturbé par la vie, à l'intérieur de la cour mais aussi à l'extérieur. Idée géniale de Sissako : alors que le procès tente de réfléchir sur le devenir du monde, le monde qui l'entoure rejoue la tragi-comédie universelle des existences qui le composent. Une femme qui se sépare de son mari pendant que son enfant se meurt ; un cameraman qui préfère filmer «la mort que la vie» ; un pistolet volé par on ne sait qui et pour on ne sait quelle fin... Toutes ces vignettes, aussi éclatées que le déroulé du procès est compact et dense, finissent par se rejoindre et livrer la vérité du film : pendant qu'une génération espère se libérer du joug économique de l'Occident, celle de ses pères agonise sous le poids des sacrifices qu'elle a dû lui accorder. Conclusion amère d'un film magistral, souvent drôle malgré son désespoir latent, toujours passionnant dans son exceptionnelle visée politique. En tout cas, le plus fort de cette rentrée, et haut la main !CCBamakod'Abderrahmane Sissako (Fr-Mali, 1h58) avec Aïssa Maïga, Tiécoura Traoré...


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«En Afrique, le cinéma reste un luxe»