Écrivains à mi-temps

Rencontre / Le sociologue Bernard Lahire, auteur d'une enquête de référence sur la condition littéraire, sera l'invité principal d'une journée de réflexion sur la situation singulière et le statut précaire de nos chers écrivains. Yann Nicol


La première leçon que l'on tire de la vaste enquête sociologique de Bernard Lahire, consacrée aux écrivains, est précisément que l'immense majorité d'entre eux ne sont pas uniquement écrivains. 98 % des 500 auteurs de fiction ou de poésie sondés pour cette étude exercent (ou ont exercé) un second métier parallèlement à leur activité d'écriture et mènent par conséquent ce que Bernard Lahire appelle une double vie. Alors que les écrivains sont le fondement même et l'origine de la fameuse chaîne du livre, ils ne sont paradoxalement pas considérés (à l'inverse des libraires, imprimeurs, éditeurs, distributeurs...) comme des professionnels du livre. C'est ce constat qui amène le sociologue a préférer le terme de «jeu littéraire» à la notion bourdieusienne de «champ» puisque les créateurs n'apparaissent dans le «champ littéraire» que par intermittence. Alors que d'autres artistes peuvent justement être statutairement considérés comme «intermittents», ils se résolvent donc à mêler leur activité d'écriture à une fonction rémunératrice annexe. Si beaucoup d'entre eux exercent dans l'enseignement ou les professions paralittéraires (édition ou journalisme), on découvre que d'autres sont issus de milieux beaucoup plus inattendus : psychiatrie, agriculture, maçonnerie... Il est passionnant de découvrir qu'au delà des diversités liées aux doubles vies, tous ces auteurs se retrouvent sur des préoccupations et des contraintes communes quant à la manière de mener à bien leur vocation littéraire.La vie et l'œuvreOn considère souvent que l'œuvre doit exister indépendamment de celui qui l'a créée. Qu'il importe peu de connaître l'homme pour en comprendre la prose. La quarantaine de portraits intimes (Brigitte Giraud, Hubert Mingarelli, Claudie Gallay...) qui complète cette enquête montre pourtant à quel point le fait de vivre une double vie a une influence sur le temps d'écriture, sa matière, sa forme. Ils nous aident à mieux comprendre les ambiguïtés d'une situation complexe, précaire, unique dans le paysage artistique et culturel, qui fait des écrivains une catégorie insaisissable. Mais le véritable rôle de cette étude remarquable est ailleurs. Dans la volonté première de l'ARALD, à l'origine du projet avant d'être soutenue par la DRAC Rhône-Alpes et la région, elle devait permettre une prise de conscience quant au statut de l'écrivain et à la nécessité de réfléchir sur des évolutions possibles. En espérant qu'elle remplisse sa mission, sachez que c'est sur l'ensemble de ces questions que le colloque autour de la condition littéraire se penchera vendredi 20 octobre, avec de nombreuses interventions qui s'annoncent passionnantes : Bernard Lahire, bien sûr, mais aussi la romancière Brigitte Giraud, des universitaires, des acteurs sociaux et culturels. Une réflexion qui tombe bien, car en ces temps troublés, le rôle de la littérature et des écrivains est plus qu'important. Il est salutaire.La condition des écrivains Le 20 octobre à l'École nationale du Trésor publicEntrée gratuite sur inscription www.arald.orgRenseignements au 04 78 39 58 87


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