"La frontière, c'est la sortie du chaos"

Entretien / Olivier Brachet, directeur de Forum réfugiés, participe à l'exposition Frontières. Aux côtés du reportage photographique Exil de Michel Séméniako, de témoignages audio de réfugiés résidents à Lyon, il offre un regard complémentaire sur la problématique de l'exil. Propos recueillis par Dorotée Aznar


Pourquoi impliquer Forum réfugiés dans cette expo ?Olivier Brachet : Nous nous associons souvent à des manifestations culturelles. Nous avons fait venir une expo sur la zone d'attente à Roissy, par exemple. On essaie de populariser un certain nombre d'idées de toutes les manières possibles, les plus savantes et les plus accessibles. Sur la notion même de Frontières, je me suis souvent impliqué car c'est un très bon sujet. Pour cette expo, j'ai fait un texte qui s'intitule "Pas d'hospitalité sans Frontières".Vous vous êtes particulièrement intéressé à la question des réfugiés…Les notions de frontière et celle de réfugié sont évidemment liées. Comme je le dis dans mon texte, les réfugiés sont les seuls qui acquièrent très tôt dans l'histoire le droit de franchir une séparation, pour se protéger, sans autorisation. La frontière est ce qui sépare deux formes d'autorité. L'histoire de l'asile est l'histoire du viol de la frontière.Quelles sont, à votre avis, les réussites de cette l'exposition ? De se positionner un peu à contre courant. L'expo montre bien que le "sans frontièrisme" a fait son temps. L'humanisme mondialisé c'est très bien, mais au fond cela ne règle pas le sort de la frontière. La frontière a deux avantages : elle sépare deux autorité –or, il n'y a pas d'espace sans autorité- et cela permet de ménager des règles du jeu. Pour vivre en société il faut des règles même si, quelques fois, ces règles sont pourries. D'autre part, la frontière permet aussi de substituer les protections. Au milieu d'un discours sur la libre circulation, un discours "régularisationniste" et qui prône l'abolition des frontières, on voit bien qu'en réalité, la frontière crée des espaces à règles du jeu. Même si les règles ne sont pas toujours bonnes. La frontière empêche, mais la frontière protège. Quand on supprime des frontières, on ne cesse d'en créer de nouvelles. Dans Frontières, l'art s'efface un peu derrière la géopolitique...Oui, l'exposition est avant tout géopolitique. Elle fait prendre conscience que la frontière ne disparaît pas, mais se réorganise. Plus les flux augmentent et plus la réglementation de la circulation augmentera, comme nous le montre par exemple l'utilisation des passeports biométriques. Le déplacement d'une personne n'a jamais été accompagné autant d'une telle administration, d'une telle méticulosité. Qui vient, pour quoi faire, pour combien de temps et avec qui… Ce sont des questions auxquelles on doit plus que jamais répondre. Selon moi, l'espérance d'un monde sans frontières est l'espérance d'un monde sans protection. Pour protéger la biodiversité, on crée des parcs naturels. La frontière, c'est la sortie du chaos. Elle devient mauvaise quand on en fait un mauvais usage. Comme on peut poignarder avec un stylo.


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Tester les limites