Au milieu de nulle part


Ailleurs / Où sommes-nous ? Dans une cité antique en ruine ou au cœur d'une ville futuriste aseptisée ? Bien malin celui qui sera capable de le deviner sans lire les légendes des photographies noir et blanc d'Efrat Shvily. Avec la frontalité froide et documentaire d'un Walker Evans ou des Becher, l'artiste israélienne (née en 1955) a photographié des bâtiments de colonies juives en Cisjordanie entre 1992 et 1997, de part et d'autre de la fameuse "ligne verte". Constructions en cours, abandonnées, vidées momentanément de leurs occupants ou peut-être même jamais habitées... sans la moindre trace de présence humaine. On découvre tour à tour des baraques agrippées à flan de colline telles des grottes troglodytes, des villas pavillonnaires au milieu du désert, des ensembles plus denses de petits immeubles aux fenêtres vides ou closes... "La première chose qui m'avait frappée à propos des colonies était d'ordre physique et visuel. J'étais choquée par l'artificialité des colonies par rapport à leur environnement, par leur présence surréelle et grotesque", déclarait Efrat Shvily. Tout en effet paraît ici improbable et incongru, comme un jeu de construction ou de maquettes sur une terre inadaptée. Par ses cadrages et ses contrastes peu marqués, la photographe met en scène la lutte insensée entre l'homme et son environnement, l'absurdité de ces architectures fantômes, leur probable disparition dans la blancheur solaire du ciel ou du sable. À la lisière de l'archéologie et de la futurologie, ces "sites en ruine du futur" plongent le spectateur dans une ambiguïté plus qu'inquiétante, glaçante. "La réalité, parce qu'elle cherche à se conformer à une image idéale, finit par ressembler elle-même à une image", écrit fort à propos Efrat Shvily.JEDEfrat Shvily jusqu'au 28 octobre À l'Espace Arts Plastiques de Vénissieux.


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"La frontière, c’est la sortie du chaos"