L'art et les bonnes manières

Jeunes publics / Yaël Tautavel, ou l'enfance de l'art est la première création de la saison pour le directeur du TNG. Et le plus beau spectacle de théâtre qu'il nous ait été donné de voir depuis la rentrée. Dorotée Aznar


Rarement metteur en scène -et qui plus est directeur de théâtre- aura autant tenu ses promesses. Rarement on aura été séduit à ce point par un spectacle destiné aux jeunes publics. La nouvelle création de Nino d'Introna est un bijou serti d'intelligence. Du texte à la mise scène, des lumières magnifiques à la distribution fabuleuse, la réussite est complète. Il faut dire que l'aventure commençait bien, née de la rencontre entre un metteur en scène talentueux et un jeune auteur qui ne l'est pas moins. Le texte de Stéphane Jaubertie, dont l'écriture est aussi ludique que juste, retrace l'histoire de Yaël et de Gaëtan, deux frères qui s'ennuient ferme sur leur île désertée par les animaux depuis le "Grand Exode". Yaël, le plus jeune, n'a jamais vu d'animaux, son frère ne rêve que de pouvoir se les mettre sous la dent à nouveau. Pour atteindre la Grande Terre où s'est réfugiée la faune, les enfants se feront aider par Maître Habilis, peintre animalier et mémoire d'un paradis perdu. À peine arrivés à destination, Gaëtan troquera la chasse au gigot contre l'amour et Yaël découvrira que grandir, c'est aussi dire adieu à ceux que l'on aime. Pas de morale hâtive et pas de conclusion définitive, la palette de l'auteur est vaste. À la mesure d'une brochette de six comédiens polyvalents et incroyablement justes.Comme une image
Sur les planches, la débauche d'émotions s'accorde sans peine à l'économie de moyens. Costumes blancs, grandes toiles immaculées, la mise en scène se passe aisément de décors et de fioritures. L'imaginaire est roi. Les tissus clairs et vaporeux laissent libre cours à toutes les impressions, accrochent et retiennent toutes les images. Il suffit d'un rétroprojecteur comme on n'en trouve plus que dans les salles de classe et de quelques coups de pinceaux bien placés pour que l'on se laisse transporter dans ce périple initiatique, du bleu au vert et du rire aux larmes. Les tableaux se succèdent avec légèreté et Nino d'Introna dessine sous nos yeux reconnaissants une pièce aux multiples lectures, qu'enfants et adultes entendront à coup sûr. C'est ému et heureux que l'on refermera la porte du théâtre, en réalisant que si tous les spectacles pour enfants (et les autres d'ailleurs) pouvaient être construits avec une telle croyance en la scène, une telle conscience des spectateurs et une telle envie de partager, sans aucun doute que le théâtre irait mieux, et le public aussi.


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Une vérité qui dérange