Comme un roman

Livres / C'est la déferlante ! Plus de 650 livres paraissent cet automne sous l'appellation de roman. Romans français, romans étrangers, premiers romans. Mais au fait c'est quoi un roman ? Éléments de réponse avec quelques exemples issus de la rentrée littéraire. Yann Nicol


Dans L'Insoutenable légèreté de l'être, Milan Kundera disait : "Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde". Même si cette définition peine à englober tous les types de romans de cette rentrée littéraire, il semble qu'elle en délimite l'essentiel. Le roman parle de soi, de la nature humaine et du monde. Soit. Mais sous quelle forme ? Il y a d'abord les romans dont la matière est biographique, qui mettent en scène des "personnes ayant existé". Parmi eux, on retrouve Le Fils unique, de Stéphane Audeguy (sur François Rousseau), Marylin, dernières séances, de Michel Schneider et le livre d'Eric Chevillard sur la mise à mort d'un critique littéraire, l'excellent Démolir Nisard. La palme revient sans doute à Christophe Bataille qui, avec Quartier général du bruit, livre le portrait de Bernard Grasset, l'un des grands noms de l'édition du 20e siècle, dans un roman passionnant. L'autre tendance de cette rentrée est ce que l'on pourrait nommer le roman de mœurs ou la fiction critique, qui propose une peinture au vitriol de la société. Chacun à leur manière, des auteurs comme Marc Weitzmann ou Jean-Eric Boulin y participent. D'autres, comme Eric Faye, Rick Moody ou Chloé Delaume, choisissent d'aborder un fait de société, en l'occurrence l'omnipotence du petit écran dans l'existence des citoyens. Dans cette catégorie, on remarquera particulièrement les livres de Jean-Hubert Gailliot (Bambi Frankenstein) et Eric Chauvier (Anthropologie) qui, grâce à une indéniable singularité dans la forme, parviennent à transformer la satire sociale en une véritable réflexion sur la nature humaine.Satire sociale et nature humaineC'est aussi le cas de l'américain Dennis Cooper, dont la nouvelle œuvre Dieu Jr marque vraisemblablement un tournant. Abonné aux chroniques glauques et déjantées de la jeunesse américaine, il élargit considérablement le spectre de ses obsessions avec un roman qui est à la fois un regard sur la société et un récit intime sur le deuil et la rédemption. Sa formidable inventivité narrative, symbolisée par l'exploration du monde des jeux vidéo sublime ce livre hybride et puissant. On notera que le troisième roman de Laurence Tardieu, Puisque rien ne dure, aborde lui aussi l'exercice de deuil avec beaucoup d'émotion et de retenue. Une œuvre intense et poignante, qui dit à merveille les douleurs de l'absence, la souffrance face au vide, la vacuité de l'existence et l'effroi devant l'énigme humaine. Car n'est-ce pas cela, le rôle du roman ? Partager sa solitude, regarder la mort dans les yeux, et tenter de la comprendre ? C'est sans doute à cette obsession que répondent la plupart des livres que l'on appelle aujourd'hui des autofictions. Ceux qui disent " Je " tout en sachant que "Je est un autre". À ce petit jeu-là, on vous laisse juge du cas Angot, et on vous conseille vivement la subtile variation d'Alain Fleisher sur son premier amour et ses racines dans L'Amant en culottes courtes. Du côté des romans philosophiques et du questionnement existentiel, le plus beau livre de cette rentrée est sans doute celui de Lorette Nobécourt, En nous la vie des morts. Le roman mondeUn tout petit détour du côté du roman autobiographique, avant de courir vers nos dernières tendances (le roman historique, le roman monde), pour signaler deux livres à ne pas rater. Les mémoires de Luc Bondy, Mes Dibbouks, sont un véritable objet littéraire en plus d'être un ouvrage de référence sur l'un des plus grands metteurs en scène contemporains. Le Retour du Hooligan, du roumain Norman Manea, est pour sa part un récit d'une rare puissance. L'exil, le déracinement, l'impossible oubli forgent le destin fascinant de cet homme. Son livre se rapproche d'ailleurs sur bien des points de notre dernière catégorie, marquée par des romans qui abordent des événements historiques (passés ou présents) et qui, de fait, interrogent le monde dans lequel on vit. Le livre de Jonathan Littell sur les mémoires fictives d'un ancien officier SS ne vous aura pas échapper. Nicole Krauss, avec L'Histoire de l'amour, revisite elle aussi cette période sombre de l'histoire, tout comme Nancy Huston, avec Lignes de faille. On est en phase avec une actualité politique et historique bien plus récente dans le dernier livre de Yasmina Khadra, Les Sirènes de Bagdad, qui narre le cheminement et l'embrigadement d'un jeune Irakien dans une mouvance extrémiste et terroriste, tandis que Laurent Mauvignier a choisi de développer son dernier roman autour du drame du stade du Heysel, en 1985, ou de nombreux supporters de football avaient péri. On aimerait également vous parler des romanciers qui portent un regard sur l'art et la littérature, (Pierre Senges, Javier Cercas, Antoine Choplin, Pascal Mercier). Ce n'est que partie remise.


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De l'art ou du cochon