À petits pas

Danse / Après une semaine de spectacles, premier bilan provisoire de la Biennale de la Danse avec quelques coups : de gueule, de cœur et de chapeau. Jean-Emmanuel Denave


Notre premier coup de gueule est adressé à nul autre qu'à nous-mêmes pour avoir misé sur Kim Itoh sur la base de son impressionnante prestation lors de la Biennale 2000. Dans Kin-Jiki, le chorégraphe japonais revisite cette fois-ci l'une des pièces fondatrices du butoh à la réputation sulfureuse. Mais de soufre, il ne reste que quelques effluves vaguement érogènes et du butoh, qu'un solo superbe de Kim Itoh sur la musique de Mozart. Le reste n'est qu'éclairages néo-expressionnistes pesants, duos tièdes, séquences décousues (où l'on passe musicalement et gratuitement du hard-rock à Mahler) et souvent répétitives. Après vingt ans de carrière, le chorégraphe annonce qu'il arrête la danse pour se consacrer à l'écriture et à l'éducation artistique : une sorte de seppuku donc où Kim Itoh a l'élégance de ne pas trop nous faire regretter son départ... Si certains quittent la scène, d'autres la goûtent pour la première fois, et l'on attendait beaucoup des Pockemon Crew à la Maison de la Danse. Mais où sont passés la rage et le hip-hop dans leur spectacle gentillet à la musique mielleuse ? Soit des Pockemon sous bromure, capables seulement de nous arracher à notre propre somnolence par quelques éclats techniques ébouriffants. Leur show est encore assaisonné de projections vidéo confinant à la bouillie où tout est dans tout et réciproquement : le nazisme, les attentats du World Trade Center, les émeutes en banlieue, le tsunami... Ne pas mourir en shortCoup dans l'eau aussi pour l'outsider australienne Kate Champion avec un spectacle réussissant certes à installer une atmosphère de peur diffuse et d'inquiète étrangeté suburbaine, mais qui n'est ensuite que succession de photographies figées, de poses statiques et de litanies dépressives lues en voix off. Comme il est dit dans la pièce : nous non plus nous "n'aimerions pas mourir en short"... ni devant ce spectacle de Kate Champion d'ailleurs. La star néoclassique Nacho Duato prend, elle, un sérieux coup de vieux en illustrant la musique de Bach sans inventivité, mot à mot. D'où une sorte de brillant cours de danse que l'on suit de très loin dans ce fameux Amphithéâtre de la Cité Internationale récemment inauguré. Cette salle démesurée et aseptisée s'avère en effet peu adaptée au spectacle vivant, et appelée plutôt à un concert de Johnny ou à un congrès de la mutualité... Notre seul véritable coup de cœur, très esseulé (la critique ayant étrillé son spectacle), demeure la création de Tere O'Connor avec le Ballet de l'Opéra, dont nous avons déjà parlé ici la semaine dernière. On enfoncera le clou en défendant la créativité surréaliste, décalée et vivifiante de cet improbable chorégraphe américain... Petit coup de chapeau aussi à Julie Desprairies qui a fait danser le beau quartier des Gratte Ciel et ses 120 bénévoles (écoliers, locataires, commerçants) : un parcours souvent drôle, parfois émouvant et toujours sympathique à travers des cours d'immeubles, rues et cages d'escalier... Premier bilan un peu décevant donc, mais du très beau monde se profile dans les jours à venir : la Cie L'Explose, Jan Lauwers, Frédéric Flamand, Alain Platel...


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