La Conquête de l'Ouest

Dossier / Il s'étale à l'Ouest, mange le 5e sous Fourvière et longe la Saône jusque derrière la Cité Internationale. Le 9e est une banane sur la carte, à l'autre bout du monde... Mais changeons cette pleutre considération presqu'îlienne pour un tour d'horizon aventureux de ses propositions culturelles. Dalya Daoud


En dehors des scènes connues, comme le Théâtre Nouvelle Génération (anciennement TJA), celle du CNSMD qui reste principalement un centre de formation, les lieux de diffusion ne foisonnent pas vraiment sur ces 725 hectares. Le tout récent Lyon's Hall connaît un succès encore mitigé, et la Casa Musicale n'amasse pas les foules mais devrait continuer à programmer des concerts dans un nouveau pub-restaurant, Le double 6, à la rentrée prochaine. Le Rail Théâtre, quant à lui, est une salle de location privée sans fil directeur artistique. Aux dernières nouvelles, la péniche la Plateforme qui accueille notamment les Echos Sonores n'amarrera pas sur les quais du 9e (devant la Cegid), comme prévu initialement. Le bilan est encore assombri par un manque cruel de signalétique urbaine indiquant les structures existantes. Pas de panneau, pas de badaud. A ce manque de promotion des scènes s'ajoute le fait que l'arrondissement abrite de nombreux artistes qui produisent mais ne diffusent pas nécessairement sur place. La culture existe donc dans le 9e, mais elle est quasi invisible. Plusieurs structures culturelles se sont donc constituées en collectif, qui réunit la Méditahèque, le CNSMD et le TNG, des galeries d'art, des compagnies de théâtre mais aussi le plasticien Michel Jeannès, ou encore des associations artistiques telles qu'AliceA et ONiva. Deux objectifs les motivent : faire sortir les gens du 9e, et se rendre plus visibles auprès des autres Lyonnais, qui ne connaissent des environs que l'Ile Barbe pour sa boulangerie et Vaise pour ses embouteillages. La "semaine 9e arts" (du 22 au 30 juin), sera la première occasion de lectures, spectacles et concerts promotionnels pour la culture dans le 9e.Quoi ma gueule ?"La semaine 9e arts" marquera ainsi une première étape dans la difficile mission que le collectif s'est donné. D'autant plus complexe que le 9e a un visage singulièrement morcelé et disparate, composé de quartiers intégrés à Lyon au fil du temps : Vaise, la Duchère, Saint Rambert (avec l'île Barbe), et Champvert (avec Gorge de Loup). Pour Aurore Ferreira, viaisoise depuis trente ans et employée à la galerie d'art vente-expo Juste à Côté, l'arrivée du métro a été une petite révolution, mais si les autochtones se sont mis à en sortir plus facilement, les étrangers à l'arrondissement n'y sont pas davantage venus. Vaise a longtemps lutté contre son rattachement à la ville de Lyon, qui a fini par avoir lieu en 1852. À cet esprit de dernier village résistant s'ajoute le fait que le quartier a toujours été un lieu de passage, et qu'il est devenu très populaire dans les années 50. Une population ouvrière et majoritairement immigrée s'est installée autour de feue l'usine Rhodia, tandis que de grands ensembles poussaient à la Duchère pour les accueillir. Saint Rambert, quartier résidentiel plus huppé, n'a été annexé au 9e que dans les années 60. Ce visage peu homogène n'a globalement pas bonne réputation. On claironne depuis quelques années un changement de morphologie, ce que les chantiers multiples, l'implosion des barres à la Duchère et l'investissement des promoteurs immobiliers ne démentent pas. "Nous souhaitons participer à ce renouveau", expliquent plusieurs membres de 9e arts. Certains d'entre eux craignent une "boboïsation" galopante semblable à celle de la Croix-Rousse, mais on en est encore loin. Antoine Brisson, chargé de communication au CinéDuchère, trouve injustifiée et obsolète la piètre image que dégage le quartier : "nous avons beaucoup de spectateurs qui viennent des Monts d'or, dont on ne peut pas dire que ce soit la zone. Le problème, ajoute-t-il, c'est que certains duchérois ne savent toujours pas qu'ils ont un cinéma à côté de chez eux, alors qu'il existe depuis plus de dix ans". La culture a ainsi été intégrée par les politiques comme un moyen de réussite du Grand Projet de Ville, qui doit modifier la face de la Duchère.Le socio-cu', un vrai gros motLa Médiathèque, les MJCs Saint Rambert et Duchère offrent leurs espaces à des spectacles ou des concerts, mais ces lieux ont surtout pour vocation de créer avec le public un lien au mieux, éducatif, au moins, social. Certains parlent d'actions d'"éducation" ou d'"engagement" artistique... Autrement dit il s'agit de socio-cu'. Le mot est lâché même s'il ne plait pas du tout aux artistes impliqués. L'aspect démagogique que peuvent revêtir ces actions crée en effet le malaise, en plus qu'il pourrait jeter le discrédit sur leur travail purement artistique (mais seulement pour les mauvais esprits). La nécessité de ces activités avec la population, surtout jeune, scolaire, semble de toutes façons avérée pour les édiles et pour les artistes basés dans le 9e. Mais ce serait faire preuve de très mauvais esprit que de résumer la culture du 9e au socio-cu'. Faisons fi de l'antienne pessimiste, il est temps de chanter les vertus d'une terre dont les trésors nous restent encore insoupçonnés. Même Nuits Sonores, qui est une sorte d'indicateur de coolitude topographique de Lyon, est allé au Parking Niveau -1 à Vaise, un parking souterrain qui mériterait d'être réutilisé à des fins artistiques. La compagnie de danse Hallet-Eghayan, en plein cœur du 9e, fait régulièrement parler d'elle sur la scène internationale. Enfin, les trop méconnus Percussions et Claviers de Lyon sont désormais résidents du 9e. Ils proposent d'ailleurs avec AliceA un concert-vidéo pendant la semaine 9e arts. On a même entendu parler d'un projet similaire autour de Frank Zappa. Une création qui serait alors totalement 9èmiste, et qui pourrait avoir de la gueule.


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