L'œil à la bouche

Théâtre / Dans Choses dites, choses vues, Jean Jourdheuil et Marc Barbé s'approprient sur scène la parole de Foucault, extraite des interviews et écrits du philosophe, dans une véritable communion d'esprit. Une performance stimulante. Christophe Jacquet


En octobre 2004, l'artiste contemporain suisse Thomas Hirschhorn présentait au Palais de Tokyo à Paris une installation consacrée au philosophe Michel Foucault. Y figurait en particulier sa Foucault-Map, un plan très personnel des thèmes investis par l'auteur polymorphe de Surveiller et punir. Dans le spectacle monté au TNP cette semaine par Jean Jourdheuil, le comédien Marc Barbé arpente cette carte en tout sens, lui dessine des reliefs, et donne vie à cette pensée subversive. Écorché vif au cinéma dans des films comme Sombre de Philippe Grandrieux ou En compagnie d'Antonin Artaud de Mordillat, Barbé fait ici siens les mots de Foucault, collé au fond de la scène ou courant en coulisses, tentant de se faire une place dans ce qu'il dit. Créée au théâtre de la Bastille en septembre 2004 pour le Festival d'automne à Paris, cette lecture puise sa matière dans les écrits, essais et interviews donnés par l'architecte de L'Archéologie du savoir ou Histoire de la sexualité. Féru de philosophie, Jean Jourdheuil a déjà adapté pour le théâtre Rousseau, Montaigne, Spinoza. Là, il prête une existence inédite aux paroles et discours d'un intellectuel, militant contre toute forme d'enfermement des corps et des esprits. À fond la formeAu fur et à mesure, Marc Barbé édifie sur un plateau tournant une structure en étoile de panneaux bleus amovibles. Œuvre du peintre berlinois Mark Lammert, le décor matérialise le panoptique de Jeremy Bentham, repris par Foucault comme matrice de son analyse sur l'organisation de la société et du pouvoir. Mais, par-delà ce concept phare, la mise en scène s'attache presque plus à la méthode. Tout ce qui est ici posé sur les planches est sans cesse redistribué, à la façon de la pensée de Foucault elle-même, qui veut que ce ne soit pas la réalité qui change, mais les façons de l'appréhender dans le temps. D'une rare cohérence avec la forme d'une pensée multiple, Jean Jourdheuil applique à bon escient une définition de Michel Foucault, tirée d'un entretien enregistré en juin 1975 : "À mes yeux, l'intellectuel n'a pas à faire valoir son discours sur celui des autres. Il essaie plutôt de donner place au discours des autres." Quelques metteurs en scène faussement démiurges et peu inspirés cette saison, pourraient peut-être s'en prévaloir pour adapter Shakespeare, Ibsen et consorts.Michel Foucault, choses dites, choses vuesAu TNP à VilleurbanneDu 16 au 19 mai


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