La Fièvre dans le son

Musique / Après deux albums impeccables, Expérience nous a gratifié cet automne d'un disque de reprises aux idées larges et à la vigueur stimulante. Retour sur 5 ans d'après-Diabologum avec le toujours incandescent Michel Cloup. Propos recueillis par Emmanuel Alarco


La Fièvre dans le sonMusique / Après deux albums impeccables, Expérience nous a gratifié cet automne d'un disque de reprises aux idées larges et à la vigueur stimulante. Retour sur 5 ans d'après-Diabologum avec le toujours incandescent Michel Cloup.Propos recueillis par Emmanuel AlarcoL'album a été enregistré très rapidement...Ça a été 1 journée par titre. Vu qu'on pensait faire un EP, on a d'abord mis en boîte 5 titres en 5 jours et quelques semaines plus tard, on s'y est remis 10 jours pour le reste. On a profité des semaines de pause de la tournée Hémisphère gauche. Même s'il y a eu un peu de réflexion au préalable sur les titres qu'on allait reprendre et sur la façon d'envisager les morceaux, c'est un album qui s'est fait de façon impulsive et spontanée.Quels morceaux figuraient dans votre répertoire avant que vous ne vous lanciez dans le projet ?Il y avait juste celui d'NTM et celui de Costes. Pour les premiers concerts au moment de la sortie de l'album, on jouait 80% de reprises et 20% de compos. Sur la tournée avec Alec Empire, on fait un truc plus mixte.Le Hip-hop a toujours été une influence revendiquée, là vous reprenez NTM, A Tribe Called Quest, Public Enemy... Vous allez finir dans les bacs rap !Je ne pense pas, on restera toujours un groupe de rock. On vient de là et on n'a pas d'autre prétention qu'être un groupe de rock. Après, on n'arrive pas à rester dans un format figé de morceaux, on a plutôt envie de faire un truc excitant pour nous, de prendre les chemins de traverse, du coup on est amené à mélanger les genres. Mais on ne vient pas du rap, c'est une pièce rapportée, ce n'est pas l'influence principale.Vocalement, ressens-tu la tentation mélodique ?Je ne me pose pas trop de questions là-dessus, si ça vient, ça vient, si ça vient pas, ça vient pas. C'est quelque chose qui a été un peu éclipsé sur nos deux premiers albums, mais qui reviendra peut-être, je ne sais pas trop. L'idée, c'est de ne pas refaire la même chanson, de ne pas refaire le même disque. Vu que depuis le début on est plus sur quelque chose de rapé, peut-être qu'on va en arriver à quelque chose de plus chanté par moments, ce sera peut-être ça l'évolution, ou un mélange des deux. Mais c'est vrai que la tentation mélodique sur une chanson de A jusqu'à Z, non. Par rapport à notre propos, à ce qu'on a envie de raconter, je crois que ça ne colle pas, ce n'est pas compatible. C'est comme envisager un groupe de Death Metal qui s'habillerait avec des robes à fleurs.Pourquoi pas ?Ouais, ça peut le faire, mais je crois que ça ne m'intéresse pas trop et puis j'aurais peut-être du mal à raconter tout ce que j'ai envie de raconter. Il y a des gens qui arrivent à faire passer des choses avec un chant mélodique, mais je crois que je n'ai tout simplement pas envie de chanter en fait. Chanter ça veut dire que ça va bien. Moi je chante sous ma douche, mais devant des gens, je n'ai pas le cœur à ça. Chanter, ça ne veut pas forcément dire que ça va...J'exagère, mais c'est comme ça que je ressens la chose personnellement. De toute façon, je ne suis pas un bon chanteur.Etes-vous nostalgiques de l'époque Lithium ?Ça ne nous manque pas forcément. De toute façon on garde le contact avec la bande et puis quand une famille explose, elle se recompose ailleurs, avec d'autres gens. C'était une époque, c'est fini, voilà. Il y a autre chose qui arrive derrière. Il faut que les choses évoluent aussi, pour continuer d'avancer et ne pas se retrouver dans les mêmes schémas. Il y a toujours moyen d'être nostalgique de toutes manières, mais les ponts ne sont pas rompus.Vous arrivez à retrouver une émulation similaire ?Déjà, à l'époque elle n'était pas démente non plus, maintenant il faut construire autre chose ailleurs. J'ai du mal à me dire que c'était beaucoup mieux il y a 10 ans. C'était différent, on avait des problèmes qui n'étaient pas les mêmes. C'était difficile par rapport à ce qu'on avait envie de faire, ça l'est peut-être un petit peu plus aujourd'hui, mais bon. Soit tu prends sur toi et tu continues, soit tu arrêtes. Notre philosophie aujourd'hui, c'est plus de prendre les bonnes choses où elles sont et d'en profiter.Depuis le début d'Expérience, on ressent dans votre musique une vraie rage positive ?Avec Diabologum, on était arrivé à un point de non-retour, pour moi en tout cas. Pour continuer, il fallait penser autrement. Ça ne veut pas dire que le fond des choses est totalement changé. C'est juste que tu as besoin d'énergie pour faire les choses et que cette énergie-là, tu ne la trouves pas en étant négatif en permanence.Le deuxième album revenait quand même à quelque chose de plus noir ?Je pense que ça va être de plus en noir. On essaie d'être en phase avec notre époque et il faut avouer qu'elle est de plus en plus sombre. Ça ne veut pas dire qu'on va se tirer une balle dans la tête ! Au contraire. Faut dire qu'aujourd'hui, dès que tu commences à dire quelque chose, à avoir un discours un peu différent de la pensée globale, tu passes tout de suite pour un emmerdeur. On est dans une époque de divertissement, l'accomplissement de ce qu'avait théorisé Debord à la fin des années 60. Je crois qu'on a même dépassé la Société du spectacle, on est rentré dans autre chose. On a dépassé le stade de la résignation. Dès que tu as un discours un peu différent, même si tu dis la chose la plus insignifiante du monde, vu que le discours global est complètement mort, tu passes pour un rabat-joie. C'est comme ça, on commence à avoir l'habitude, on s'est fait une raison. Et puis je m'imagine mal faire autre chose, il y a des gens qui ont envie qu'on sifflote leurs chansons en rentrant du boulot le soir. J'ai plutôt envie que notre musique suscite d'autres genres d'émotions, plus violentes, ce qui n'est pas forcément négatif. La violence n'est pas forcément négative.D'ailleurs, le refrain d'NTM que vous reprenez "Qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu" représente pas mal l'esprit du groupe...Tout à fait. Mais c'est une chanson. Évidemment ça nous ramène à ce qui s'est passé en banlieue au mois de novembre. Tous les 5 ans il y a de petites secousses, mais qui finalement ne prêtent pas beaucoup à conséquences. Elles durent tellement peu de temps qu'elles finissent peut-être même par desservir la cause. Ça renforce le système plus que ça ne le déstabilise. En Europe, on est dans un truc tellement protégé que pour que ça change, il faudrait vraiment que ça bouge partout. Je ne crois pas qu'il y ait d'alternative.Vous avez eu des réactions des gens que vous avez repris ?On n'a pas vraiment envoyé l'album à tout le monde. On a envoyé un disque à Costes, mais on n'a pas eu de réponse. On en a envoyé un à Q and not U qui nous ont répondu en nous remerciant. Sinon j'ai donné un CD à Will Oldham l'été dernier. En fait, j'ai appris qu'il avait un album de Diabologum et qu'il connaissait Expérience, ça vaut mille passages radio et mille Unes de magazines ! Il avait l'air plutôt content, mais on n'a pas eu de réaction. Quant au pauvre Gil Scott Heron, son slogan ("The Revolution won't be televised") a été mangé à tellement de sauces, tellement récupéré, qu'on a préféré s'abstenir.Le 4e album est-il déjà en route ?On a quelques morceaux, mais c'est loin d'être planifié. En théorie on joue jusqu'à la fin de l'été et ensuite on y travaille vraiment. On aimerait le sortir début 2007. Si on en est content.


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