Première gorgée de scène


Théâtre / Le Fait d'habiter Bagnolet commence en se donnant des airs de tragédie avec un prologue à la Antigone, version Anouilh. Une voix (en l'occurrence celle de Véronique Silver), nous raconte que dans un peu plus d'une heure, les deux petits jeunes qui font un brin de causette dans un resto cheap vont s'embrasser sur un trottoir avant de passer les sept prochaines années de leur vie ensemble. La comparaison s'arrête là. Pas de drame dans le reste de la pièce mais une ode aux petits bonheurs, une petite poésie sur les derniers instants qui précédent la formation du couple. Ces instants où l'on ne se connaît pas encore : ultimes tentatives de séduction et derniers doutes (ambiance : c'est tellement émouvant quand il mâche son yoghourt, oui mais dans dix ans, est-ce que ce sera encore supportable ? ). Tant de questions non-existentielles auxquelles nos deux futurs ex-célibataires ne répondront pas, tout occupés qu'ils sont à se projeter dans leur histoire. Car c'est bien la particularité et l'efficacité de cette pièce : le spectateur assiste à deux monologues ; les pensées des personnages se croisent mais ne se rencontrent jamais dans le dialogue. Et ce n'est pas son seul charme. Les chansons de Souchon, les cahiers de souvenirs avec les dépliants touristiques collés sur les pages de droite, les coquilles Saint-Jacques reconverties en cendriers, une correspondante allemande teinte en bleue et prénommée Hanke... bienvenue dans l'univers de Vincent Delerm. Les petits rien de ses chansons s'exportent avec légèreté sur les planches. Au final, on se dit qu'il fallait au minimum un artiste France Inter pour inventer le concept du théâtre "bichette". Tout y est joli, réglé comme du papier à musique, rien ne dépasse et rien n'est en trop. Le studio de la Croix-Rousse se révèle parfait pour cette scène intime. La mise en scène réussit à préserver l'authenticité du moment en n'excluant pas le spectateur et les comédiens parviennent à donner corps à des personnages dont la légèreté psychologique aurait facilement pu être insoutenable. Alors même si ce n'est pas bien profond, ne feignez pas, on l'a bien vu votre petit sourire là... Dorotée AznarLe Fait d'habiter BagnoletJusqu'au 18 févrierAu théâtre de la Croix-Rousse


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Bain de jouvence