"Le temps de rêver est bien court"

Exposition / Christian Lhopital présente à la galerie Domi Nostrae dessins et objets récents. L'une des plus belles et des plus émouvantes expositions à voir à Lyon en ce moment. Jean-Emmanuel Denave


Des limbes, surgissent en tremblant les enfants-monstres de Christian Lhopital, fixant sur nous leurs yeux rougis, exorbités. Sont-ils effrayants, ou est-ce nous qui les effrayons, les surprenons, dans l'indécision et l'enchevêtrement fragile de leurs formes ? La légende indique qu'ils "font face", c'est-à-dire qu'ils font à la fois figure et surface : face du visage et face matérielle de la feuille, monstres imaginaires et monstres de papier... L'œuvre de Christian Lhopital (né à Lyon en 1953) s'avère souvent bicéphale, explorant, dans le même geste, les tréfonds de l'imaginaire collectif et des problèmes de pure forme hérités de la modernité artistique : surface, matière, espace, mouvement... La physionomie de ses personnages est aussi une géographie de leur surface d'apparition. Et l'on ne s'étonnera pas, alors, que l'artiste puisse admirer aussi bien Grünewald (peintre allemand du 16e Siècle) que Barnett Newman (grande figure américaine de l'abstraction). Ni que, dans une autre série de dessins superbes, un Mickey carbonisé soit aussi "un lavis", ou la multitude de petits personnages fantomatiques qui s'y trouvent soient aussi " des formes inachevées, des lambeaux de couleurs... ". Eplucher le réelParallèlement à ses séries de dessins, Christian Lhopital présente à la galerie Domi Nostrae plusieurs installations, aussi poétiques qu'humoristiques. La plus surprenante consiste en une structure métallique de kiosque de jardin renversée, avec en son centre, suspendu dans le vide, un singe en peluche enduit de peinture blanche ! La pièce porte un titre superbe tiré d'un poème d'Aragon : Le temps de rêver est bien court. L'artiste raconte qu'il a découvert cette structure de jardin en roulant sur l'autoroute, l'a achetée et laissée longtemps dans son atelier, puis a décidé un jour de la renverser : "parce que ça me plaît quand les choses dérapent ; l'étrangeté et l'onirisme de cette pièce renvoient à ces questions : que peut-on faire avec le réel, comment le bousculer ?". Quant au singe enduit de peinture, Christian Lhopital rappelle qu'il utilise des peluches plongées dans la peinture depuis plusieurs années : sortes de ready-made qui ont "traversé la peinture" pour se confronter à d'autres objets et composer des situations-installations incongrues (deux autres singes enfermés dans des tubes, un drôle d'oiseau perché sur un cintre, un petit chien juché sur son piédestal et protégé par plusieurs pièges à souris...). Qu'il soit peluché ou crayonné, le fil des œuvres de Christian Lhopital déroule ainsi des lignes de tension, oscille entre l'image et son support, entre enchantement et désenchantement, présence et absence, sillonne parmi les fêlures du réel et de ses représentations. A le suivre longuement et patiemment, on s'ouvre alors à bien des émotions."Le pavillon silencieux", À la Galerie Domi Nostrae Jusqu'au 25 mars.


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