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Théâtre / Avec une conception du théâtre résolument novatrice, Tg STAN s'est imposée comme une compagnie incontournable. Petits retours sur l'histoire et la méthode STAN. Dorotée Aznar


L'histoire débute, il y a seize ans. Frank Vercuyssen, Damiaan De Schrijver, Jolente de Keeersmaeker (oui, oui la sœur d'Anne Teresa, faut croire que c'est génétique...) et Sara de Roo, tous quatre étudiants au Conservatoire de théâtre d'Anvers, terminent leurs études et montent leur propre compagnie, faisant fi des règles en vigueur. Ils ne veulent pas de nom (STAN signifie Stop thinking about names) mais finissent par en choisir un à coucher dehors et rejettent l'idée même de hiérarchie. Dès leurs spectacles de fin d'années, les petits jeunes ne s'en laissent pas conter et imposent le nom de celui qui aura le privilège d'encadrer leurs travaux. Dès lors, un vent de liberté n'aura de cesse de souffler sur Tg STAN qui se définit avant tout comme "une compagnie d'acteurs de théâtre". Mais une compagnie d'un genre un peu particulier, qui se moque des têtes d'affiche et prend l'habitude de mentionner le nom de tous les collaborateurs sur les affiches des spectacles. Chaque membre participe en effet à toutes les étapes de la création, du choix des textes à la vente et détient une part de responsabilité dans le contenu de l'œuvre. Pour ce faire, tout ce petit monde a élu domicile dans l'ancien quartier du port d'Anvers, dans un bâtiment industriel qui sert à tout (c'est aussi ça la vie en collectivité). Et ne pensez jamais pouvoir vous adresser à l'un des membres de la compagnie en particulier, les Tg STAN pratiquent le "vedettariat collectif".C'est une honte, les miroirs mententLa méthode STAN est plus qu'une simple technique. Il s'agit tout d'abord de détruire l'illusion théâtrale et de mettre le jeu à nu. Le texte doit ensuite autoriser différentes lectures car les spectacles de Tg STAN ne sont jamais les mêmes. Chaque représentation a ses particularités, ses divergences et le spectacle n'est vivant qu'à la condition de respirer, de ne jamais se figer. La réalité ne se duplique pas. "90 % des spectacles que nous présentons sont fixés et ce qui semble être de l'improvisation n'en est pas toujours. Mais les 10 % restant sont réellement improvisés, au gré de nos humeurs et des réactions du public ", explique Damiaan De Schrijver, comédien à l'affiche de l'excellent Dinner with André au théâtre du Point du Jour. Les comédiens sont rois et s'attaquent aux répertoires les plus divers, de Tchekhov à Diderot, en passant par Thomas Bernhard, Heiner Müller, Anouilh ou Brecht. Ils se paient accessoirement le luxe de jouer aussi bien en français, en anglais qu'en néerlandais. La méthode de travail est toujours la même. Les comédiens traduisent les textes choisis, parfois pendant plusieurs mois. Chaque mot est pesé, pensé au plus près de la langue dans laquelle le spectacle sera joué et contrairement à ce qui a pu être entendu, il ne s'agit pas de rendre les textes "plus actuels", mais au contraire de revenir à la source même. Vient ensuite le travail de lecture, assis autour d'une table, jusqu'à faire corps avec le texte, l'épouser pour pouvoir mieux s'en distancier. La distribution des rôles n'a souvent lieu qu'au dernier moment. Le résultat est à la hauteur des attentes, libre et subversif, en absolue non-conformité avec les intentions. Acteurs engagésLa conscience critique n'est jamais absente du travail de Tg STAN. La compagnie porte un regard aiguisé sur le monde et l'actualité peut faire irruption sur scène à tout moment. Avec Vraagzucht, (qui traite des préparatifs de la guerre contre l'Irak), Tg STAN inventait une forme de théâtre documentaire et balançait au public des images et des pensées, sans jamais lui fournir d'explication. À lui de se dépêtrer avec ses questions, de faire usage d'une liberté soudain restituée. En questionnant sans cesse le travail du comédien - pourquoi jouer, comment jouer ? - Tg STAN repousse également les frontières du réel et de la fiction, avec toujours à l'esprit le rapport au public et à la salle (même si chez eux la frontière entre scène et salle est bien souvent ténue). Dans toutes les créations de la compagnie, les textes sont passés au scalpel (souvenez-vous de l'étonnant montage à l'œuvre dans l'hilarant Poquelin) et le langage épuré, soudain résolument contemporain, permet tous les combats. Car la langue est un rapport de force, ce que My Dinner with André ne vient pas démentir. Rien dans les mains, rien dans les poches (les Flamands migrateurs ne s'encombrent pas de bagages), les comédiens n'ont plus que les mots. Une table, deux chaises et au-delà, l'art inimitable de transformer la salle en coulisses, un humour féroce, une distance ironique et des acteurs merveilleux qui prennent un plaisir communicatif à être.


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