La loi des séries

24 heures chrono, Les Soprano, The Shield, Lost... Après avoir passé les derniers mois à engloutir série télé sur série télé, quoi de plus normal que de parcourir l'année musicale tel un feuilleton intime, au pitch légèrement tiré par les cheveux. Emmanuel Alarco


Épisode 1 : Le Brouillard - Après une longue période d'hibernation, notre héros revient au monde ; un monde embrumé et rempli de questions. Fog et Why ?, les deux amis qui nous épataient l'an dernier en chamboulant la pop à coups de hip-hop mutant (Hymie's Basement) ont continué leur jouissif travail de sape, chacun de son côté. 10th avenue freakout et Elephant Eyelash sont deux magnifiques fenêtres sur un avenir aux idées larges et décomplexées ; une douce utopie où rock, folk, rap et électro s'adonneraient aux plaisirs de la chair pour offrir de magnifiques enfants métis.Épisode 2 : Béquilles verbales - Émergeant peu à peu de son "coma idyllique", notre héros s'accroche aux mots. Après un premier album remarqué en 2001 (Asphalte hurlante) et des projets parallèles (L'Armée des 12, avec TTC) ou participations (Expérience) de haut niveau, La Caution débarque cet automne avec un double album qui met tout le monde d'accord. Textes éblouissants de virtuosité et de justesse et spectre musical œcuménique (du hip-hop pur à la pop à guitares), qui dans le paysage rap hexagonal peut prétendre rivaliser avec les frangins de Noisy-le-Sec ? Hein ?! Qui ?Épisode 3 : Pas au top - Inquiet face aux années qui défilent, notre héros rêve du jour où il anticipera enfin les embûches. Cette année il aura fait bon être français (voire franco-suédois) et chroniquer les petites défaites du quotidien ou les triomphes intimes dans la langue de Dylan. Avec Not on top et Someday we will forsee obstacles, Herman Düne et Syd matters signent deux des plus touchantes déclarations folk de la cuvée 2005. "If it's too hard to say, then say it in an english way", c'est Syd matters qui le dit...Épisode 4 : Leçon de classe - La rencontre imprévue d'un nouveau maître redonne la foi à notre héros, désormais en quête de la classe ultime. Fort d'un énième album de haut vol paru en 2004, Giant Sand et surtout Howe Gelb ont sobrement atomisé leurs adversaires dans la folle course au titre de concert de l'année. Aussi à l'aise avec l'humour à froid qu'avec sa six cordes, le parrain de l'americana est définitivement le gentleman farmer de l'année.Épisode 5 : Apparition - "La première fois que je l'ai vue, j'pouvais pas croire qu'elle était vraie", citant Mendelson (le groupe), notre héros évoque LA rencontre... On sera toujours fasciné par ces formations déboulant de nulle part et qui, à la force d'un buzz sur le net et d'un premier album météore, sont intronisées "meilleur groupe du monde". Cette année, ce sont évidemment les Canadiens explosifs d'Arcade Fire qui décrochent le gros lot. À l'unanimité. À noter, dans le registre surgi du néant : Antony and the Johnsons, bouleversant rejeton transgenre de Nina Simone et Boy George.Épisode 6 : L'ultime romance - Cette fois, c'est la bonne ! Revenu de tout, Aidan Moffat, incontestable champion du monde de la débâcle sentimentale, se fend avec Arab Strap d'une poignante déclaration d'amour lucide. Pas question de faire comme si c'était la première fois, mais pas question pour autant de ne pas y croire. Pour lui, c'est sûr, c'est la dernière. Et les Écossais de nous livrer avec The Last romance leur album le plus rock et le plus étonnamment optimiste.Épisode 7 : D'amour et d'eau fraîche - Les violons jouent et les oiseaux chantent, notre héros toucherait-il au but ? L'an dernier, Andrew Bird nous avait littéralement arrachés aux lois de la gravitation lors d'un concert d'anthologie, tout en nous laissant légèrement sur notre faim, discographiquement parlant. Cette année, le mal est réparé : The Mysterious production of eggs a tourné en boucle et sa grâce mélodique n'a pas fini de nous hanter.Épisode 8 : Les Emmerdes avec un grand "E" - Évidemment le tableau était trop beau et la romance de notre héros commence à battre de l'aile. En 2005, Buck 65 est passé du statut d'agitateur hip-hop déviant à celui de grand Monsieur de la musique américaine. Impressionnant sur scène, comme sur disque (Secret house against the world), ce Tom Waits du scratch a enfin trouvé la clef de la cour des grands et parvient désormais à nous hypnotiser d'un bout à l'autre d'un album ou d'un set avec ses histoires de perdants magnifiques.Épisode 9 : La Rupture - "Bête et brutale", comme disait Brel quand il venait "rechercher ses bonbons" en 67. Dans un paysage français pas folichon (heureusement relevé par la bonne surprise Camille, la confirmation Albin de la Simone ou le retour en grande forme d'Arthur H), Mathieu Boogaerts fait figure de champion 2005. Avec Michel, son album le plus sombre, le plus intime et surtout le plus abouti, il démontre qu'il est l'un des auteurs-compositeurs-interprètes (il impressionne autant dans les trois domaines) les plus doués de sa génération.Épisode 10 : Inquiétudes - Et si notre héros avait passé l'âge des amours de jeunesse ? "The world is so big that we can't find each otherSoon it'll be too late, we won't be young together". Trentenaire alerte, Troy von Balthazar (par ailleurs leader de Chokebore) commence à douter sérieusement. Non pas de trouver l'âme sœur, mais de la trouver assez tôt pour pouvoir partager avec elle un petit bout de ses jeunes années. Avec ses chansons magnifiquement épurées et ses concerts hallucinants, on a bon espoir pour lui.Épisode 11 : Espoirs - Se tournant vers demain, sans oublier hier, notre héros reprend du poil de la bête. Au rayon découverte à peine pubère, Willy Mason (tout juste 20 ans et déjà une voix de vieil alcoolique !) a signé un disque plein de promesses avec Where the humans eat. Dans la même famille folk, au sens très large, mais cette fois du côté des vieux routiers, The Mountain Goats, surprend avec le fougueux The Sunset tree, qui sous ses allures de petit disque à fait son chemin jusqu'au palmarès de fin d'année.Épisode 12 : Épilogue - Notre héros en a marre de toutes ces conneries et se dit qu'au final, tout ça, c'est pas bien grave, parce que cette année, il y aura eu Come on feel the Illinoise, le chef d'œuvre de Sufjan Stevens, et que même si tout fout le camp, eh ben ça c'est fait, et un disque pareil, c'est pas tous les jours quand même, et que dans 10, 20 ou 30 ans, c'est sûr qu'on l'écoutera toujours et qu'on aura encore la larme à l'œil tellement c'est pas possible des chansons pareilles. Voilà.


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Le silence est dehors