Littérature amplifiée

Analyse / Longtemps cantonnée à de plates hagiographies ou à la simple critique, la littérature rock est en train d'exploser sous l'impulsion de nouveaux auteurs et surtout d'éditeurs qui ont enfin compris l'importance d'une culture plus si jeune que ça. Christophe Chabert


Il y a un an encore, on traînait dans le rayon "livres musicaux" en pestant contre l'inanité des titres disponibles en matière de rock. La biographie officielle ou officieuse de la rock star suicidée semblait être le seul horizon de ce qu'on avait du mal à taxer de "littérature", quand on n'avait pas carrément droit à des catalogues de photos pour fans en pamoison prêts à la dédicace. Les contre-exemples se comptaient sur les doigts d'une main : Nick Tosches et High Fidelity, Greil Marcus et Lipstick Traces... Devant ce désert-là, on préférait s'en remettre aux quelques plumes de la presse musicale, sinon au rock lui-même ; car c'est finalement là que se trouvait les meilleurs écrivains (lisez un texte de Will Oldham ou de Bill Callahan, vous comprendrez...).Le rock : un environnement littéraireMais les choses finissent toujours par s'arranger. La parution du deuxième volume des écrits de Lester Bangs (pas un poulain de l'année, mais quand même une référence incontournable), les nombreux écrits de et autour de Bob Dylan et la création cette année de naïve livres, appendice littéraire à la maison de disques indépendante et couillue tenue par Patrick Zelnik, ont subitement donné une réalité à cette chose étrange qu'on appelle "littérature rock". Sophie Giraud, éditrice chez naïve, résume ainsi sa démarche : "Un domaine où les écrivains sont libres d'écrire autrement sur la musique et dans un tempo forcément musical". Le "autrement" est en effet fondamental, mais l'argument du "tempo" paraît un peu court : un bon écrivain sait par définition le trouver, qu'il parle musique ou élevage de brebis dans le Haut-Rhin. Il faut donc se plonger dans les livres pour affiner la proposition. Prenez François Bégaudeau, auteur d'Un démocrate, Mick Jagger 1960-1969 : l'intelligence de son essai est de prendre justement le rock comme une matière noble, un sujet parmi d'autres, et de raconter l'histoire d'un personnage (Mick Jagger, donc) qui parle en écho d'une génération, et enfin de l'écrivain lui-même. Cette idée, que le cinéma avait déjà brillamment récupérée (de Spinal Tap à Presque Célèbre), consiste à faire du rock un paysage, un environnement culturel qui serait une somme de codes et de goûts (pas seulement musicaux, d'ailleurs) partagés, et sur ce paysage déjà mythologique réécrire des légendes (ce que Chuck Klosterman pousse à son apogée dans Je, la mort et le rock'n'roll). L'écriture peut alors varier du tout au tout (post-moderne et poseuse chez Bégaudeau, cinglante et fluide chez Klosterman), l'objectif est le même : faire de cette musique un élément constitutif du rapport à l'art depuis un demi-siècle.Rock et LittératureRencontre avec Chuck Klosterman, François Bégaudeau et Sylvie RobicÀ la Villa Gillet le jeudi 24 novembre


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La Bible du rock