Conte de la folie ordinaire

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Livre / Après l'énorme et imprévisible succès de La Petite chartreuse, le dernier livre de Pierre Péju était attendu avec une grande impatience. On peut dire que l'auteur n'a pas manqué son rendez-vous. Avec Le Rire de l'ogre, il propose un roman passionnant, un conte cruel et inquiétant qui convoque ses obsessions de toujours : la faute, la culpabilité, la solitude, le mal, l'art... Les deux personnages principaux de cette fable tragique sont Paul et Clara. L'un est orphelin d'un père au passé de résistant, assassiné suite à son investissement dans le conflit algérien. L'autre est la fille du Docteur Lafontaine, médecin allemand impliqué malgré lui dans l'horreur des camps d'extermination nazis. Tous deux sont le reflet de ce que Péju nomme les "fêlures de guerre en temps de paix". Les ravages, les stigmates indélébiles de l'inhumanité la plus absolue qui s'insinuent, se propagent d'une génération à l'autre comme une gangrène, et cela même dans les moments "optimistes" de l'histoire comme Mai 68. Péju montre ainsi avec beaucoup d'intelligence le paradoxe d'un siècle qui est à la fois la source d'un immense progrès individuel et le terreau des plus grandes cruautés massives. Une démesure du mal que l'homme peine à réaliser, même lorsqu'il y est directement confronté : "Il souffrait de ne pouvoir imaginer l'horreur humaine à une telle échelle. Les hommes, c'est l'un après l'autre qu'on imagine leur calvaire, pas en masse. Si la souffrance est massive, elle devient abstraite. L'humain en général, l'humain exterminé en masse échappe à notre compassion", écrit Péju à propos du médecin allemand, qui tente d'assimiler cette horreur absolue par l'exercice quotidien de l'écriture. Une volonté d'exprimer l'indicible que l'on retrouve chez Paul et Clara, l'un par la sculpture, l'autre par la photo, mais aussi chez Péju lui-même, qui signe avec Le Rire de l'ogre un roman émouvant et profond sur ce sujet (très) sensible.Yann Nicol Pierre Péju "Le Rire de l'Ogre" (Gallimard)

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