Folk bandes

Musique / Une guitare, une voix, une poignée de chansons : la recette folk reste la plus simple de la musique populaire, trop simple pour ne pas être arrangée à des sauces relevées pour déboucher sur de nouvelles formes musicales dont l'unité est surtout question de camaraderie. Petite(s) histoire(s). Christophe Chabert


Toute la musique qu'on aime, elle vient de là, elle vient du blues : une guitare et des états d'âme, la musique populaire d'un peuple marginalisé (les Noirs américains) qui fait des chansons plutôt que de se laisser aller au désespoir. Dans les années 30, alors que la Grande dépression laisse tout le monde sur le carreau, cette manière de faire de la musique pour se mettre un peu de baume au cœur n'est plus une question de couleur de peau. Woody Guthrie sillonne alors les routes américaines et y invente la première mythologie folk : une musique guidée par les mélodies à la guitare, colportée par ce troubadour qui fait entendre son désenchantement envers la politique, les lois et l'intolérance de son pays à un peuple assommé par la crise. Toute mythologie à ses admirateurs. Quelques années après la mort de son héros, Bob Dylan reprend ouvertement l'héritage de Guthrie : on appellera ça un temps le néo-folk, avant que le "néo" disparaisse et que la musique de Dylan (et ses prestigieux confrères, de Leonard Cohen à Bruce Springsteen) ne devienne l'étalon de la musique folk américaine.La vraie légende de l'antifolkGuitare acoustique et textes engagés chantés par des voix singulières : cette définition de la musique folk tiendra de longues années et sera le terreau fertile de ce que l'on nomme l'Americana. Toute tradition a ses contradicteurs. C'est ainsi que naît le courant antifolk : marre de se prendre au sérieux, marre du côté neurasthénique d'un folk trop replié sur lui-même... Le mouvement prend ses racines dans une légende : un type nommé Lach débarque à New York au début des années 80 avec la ferme envie de devenir le "nouveau Bob Dylan". Mais il est vite rejeté par la communauté folk parce que "trop punk". Tant pis, tant mieux : ledit Lach ira créer son propre club au cœur de l'East Village et y accueillera des artistes qui aiment autant les Sex Pistols que... Woody Guthrie. Véritable maison de l'antifolk, un courant sans dogme et sans credo, ce club verra d'abord défiler des musiciens qui trouveront vite refuge dans le music business ; notamment un certain Beck Hansen qui, sous son seul prénom, deviendra un phénomène médiatique, et dont on oublie un peu vite qu'il se fit d'abord siffler quand il faisait la première partie de Sonic Youth armé de sa seule guitare sèche. C'est un groupe appelé The Moldy Peaches qui fera la réputation tardive du mouvement antifolk : énergie punk et envie de déconne sur des morceaux musicalement minimaux joués par des gens qui n'ont visiblement jamais appris à jouer d'un instrument, mais savent fort bien maîtriser l'art du déguisement et de l'outrance scénique ; on est loin du folk propre sur lui des grands aînés. Ce qu'il en reste cependant, c'est le plaisir d'écrire des chansons... Quand le groupe se dissout, il laisse s'échapper des individualités fortes : Kimya Dawson et son costume de gros lapin rose, Adam Green et ses chansons faussement candides (il a décroché le gros lot en plaçant dans les charts une chanson sur la bimbo Jessica Simpson !)... Surtout, les Moldy Peaches font des émules, d'abord sur leurs terres new-yorkaises, puis en Angleterre, et enfin partout dans le monde. Dans l'Hexagone, ce sont les apatrides frères Herman Düne qui vont répandre la bonne parole antifolk au rythme halluciné d'au moins deux albums par an et des tournées sans fin. Au fil de projets de plus en plus bizarres (un album entier de reprises de Dido, un sous-groupe nommé Yaya qui use et abuse du ukulélé...), Herman Düne a sorti cette année un chef-d'œuvre, Not on top, où des chansons sublimes sont jouées avec simplicité, élégance et intelligence.La fausse réalité du weird folkEn parallèle, le folk a accouché d'une autre dissidence. Là encore, parce qu'il faut bien lui donner un nom, on l'a baptisée "weird folk", soit folk bizarre ou tordu. Son grand patron se nomme Devendra Banhart : né au Texas en 1981, il quitte les Etats-Unis pour le Vénézuela deux ans plus tard. À 12 ans, il commence à écrire des chansons. À 16, de retour aux Etats-Unis, il découvre qu'il peut raconter avec sa seule guitare toutes les histoires qui lui passent par la tête. À 20 ans, un patron de maison de disques lui fait enregistrer son premier album ; en quatre années, il en sortira trois autres, soit une bonne centaine de chansons qui en feront le songwriter le plus prolifique de sa génération. En quoi celles-ci sont-elles "weird" ? Par le timbre de voix androgyne, si particulier, de Banhart ? Par sa capacité à les fondre dans une production superficiellement négligée et authentiquement originale ? Par son envie d'en casser les constructions, de les truffer d'inventions pour mieux accrocher l'auditeur ? Toujours est-il que Devendra Banhart, improbable croisement entre Hugues Aufray, Marc Bolan et Bob Dylan, est un vrai chanteur folk, tandis que ses camarades au sein de ce mouvement un peu artificiel sont beaucoup plus "weird" que "folk". Animal collective privilégie l'électricité, Anthony (and the Johnsons) chante de sa voix haut perchée sur des miniatures au piano, Coco Rosie relègue les guitares à l'arrière-plan de leurs charmantes comptines enfantines... La vraie raison d'être de ce courant qui n'en est pas un, c'est l'amitié : tous vont chanter sur les disques des autres, font scènes communes dans les festivals, quand ils ne vont pas carrément partager leurs draps (Monsieur Banhart et une des sœurs Cassidy de Coco Rosie)... Mais qui se ressemble s'assemble : on sent chez tous l'envie de secouer en douceur la musique populaire pour la plier tendrement à leurs désirs intimes, à leur talent d'écriture et à leurs capacités vocales inimitables. Kimya DawsonAu Clos Fleuri le 20 novembreHerman DüneÀ la Gourguillonnaise le 12 novembre


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