Bateau hanté

Aussi indispensable que désespérée, la musique de Matt Elliott poursuit sa plongée dans les tréfonds de l'âme de son créateur. Des chansons à boire comme un grand cru millésimé au... Bistrot de Vaise ! Emmanuel Alarco


Le souffle glaçant des abysses ; un fracas sourd mêlé à de lointains cris de panique ; une guitare et quelques arpèges mineurs, vite rejoints par un chœur de condamnés : "L'eau monte et lentement nous mourrons/Nous ne reverrons pas la lumière/Nous ne reverrons pas nos épouses". Sur le cinquième morceau de son dernier album, Matt Elliott délivre sa vision des ultimes soubresauts de l'équipage du Kursk (le sous-marin russe ayant mystérieusement sombré il y a 5 ans), un requiem à l'image de l'œuvre de l'Anglais : habité et déchirant. Pièce centrale de Drinking songs, The Kursk (comme tout le reste du disque) trouve ses racines dans The Sinking ship song, autre chant du cygne d'une bande de marins mal en point et monument prémonitoire du précédent opus d'Elliott.

Noir comme le souvenir

Sorti en 2003, The Mess we made marque un tournant décisif dans la carrière de son auteur. Après avoir maltraité la drum'n'bass à coup de bandes inversées et d'ambiances spectrales pendant près d'une décennie, Matt Elliott choisit d'apparaître à passeport découvert et d'abandonner (jusqu'à nouvel ordre) son blason mythique : Third Eye Foundation. Dès les premières notes, la révolution se confirme : Matt chante ! D'une voix tremblante et sublime, il met enfin des mots sur ses obsessions de toujours : les fantômes d'hier et les lendemains qui déchantent. Le son est le même mais, détail majeur, les folles architectures rythmiques qui occupaient jadis une place de choix ont quasiment disparu. Les samplers sont toujours là, mais ne servent plus qu'à plonger les mélodies vibrantes d'Elliott dans une torpeur d'outre-tombe. Difficile d'imaginer plus sombre ; difficile d'imaginer plus grandiose. Sur son dernier effort, sorti en début d'année, l'homme poursuit sa mutation acoustique et délaisse presque totalement les machines (à l'exception d'un morceau de bravoure de 20 minutes, "à l'ancienne") et se concentre sur une équation simple, mêlant guitares, claviers, violoncelle et voix. Comme son titre l'indique, Drinking songs a des airs de fin de soirée avinée au Café de la Marine. Mais un Café de la Marine d'un genre nouveau, où les ivrognes ont la voix fragile et le verbe choisi ; où ils reprennent en chœur des mélodies intemporelles, le temps d'un couplet perdu au milieu de longues plages instrumentales. De fantômes, il est toujours question, de débâcle amoureuse et d'illusions perdues, mais là où Elliott nous avait habitués à l'évocation par la torture sonore, une plume brillante touche au cœur, le plus souvent en moins de cinq vers. "An eye for an eye only leaves us blind", les yeux clos et remplis de larmes, pour un des plus beaux désespoirs contemporains.

Matt Elliott (+ Many Fingers)
Aux Coulisses du Bistrot de Vaise vendredi 4 novembre
"Drinking songs" (Ici d'ailleurs)


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