"Un Madame Bovary du Nord"


Réaction / Bérengère a 25 ans et travaille dans la prévention de la délinquance à Rilleux-la-Pape depuis six mois. Avant d'occuper ce poste, elle faisait partie d'un comité de quartier à Roubaix. Nous l'avons accompagnée pour visionner l'Enfant et recueillir ses impressions à la sortie. Témoignage."L'Enfant est, à mon sens, un film symptomatique de la misère du Nord. On y trouve cette ambiance de friche et cette atmosphère unique. Je connais bien cette région ; ces parents un peu perdus qui reproduisent des schémas familiaux bancals. Dans le Nord, on trouve une misère qui n'existe pas ailleurs, bien différente de celle des villes ou des cités. Une détresse physique visible et presque naturelle. J'avoue pourtant avoir un peu de mal à croire à l'histoire de Bruno et de Sonia. À mon avis, le trafic d'enfant n'est pas aussi simple et n'emprunte pas des voies aussi "miteuses". Dans le film des frères Dardenne, il s'agit d'une toute petite délinquance et la vente de l'enfant n'est en fait qu'une opportunité qui laisse un peu perplexe. D'autant plus que le personnage de Bruno, "Madame Bovary du Nord", rongé par l'ennui est totalement seul en dépit de son jeune âge. En France, les gamins ne réussissent pas à passer aussi facilement à travers les mailles du filet ; ils sont suivis par les services sociaux. Bruno n'a aucun référent, c'est évidemment un cas très marginal. J'apprécie l'absence totale de pathos mais moralement, le film me dérange. À la fin, on pourrait se dire que Bruno n'a "eu que ce qu'il mérite ou que c'est ce qui arrive lorsque les pauvres se reproduisent entre eux" or il faut à tout prix éviter ce genre d'écueils. En montrant la misère de façon aussi désespérante, on nourrit aussi le fantasme. Si l'on doit sortir de la salle avec l'envie de donner des leçons, c'est un échec pour moi. Dans le travail social, il ne faut jamais imposer sa norme ou sa morale. Pour moi, il est difficile d'aller dans le sens des réalisateurs car je ne crois pas aux cas désespérés. L'Enfant est une tranche de vie certes réaliste, mais d'une situation extrême."Dorotée Aznar


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