C'est une maison blues...

Musique / Auteur de l'un des disques les plus foudroyants de l'année, Buck 65 revient traîner son phrasé et sa prose uniques sur la scène du Kao. Un édifice flambant qui ne s'est pas fait en un jour. Emmanuel Alarco


"Hip-Hop music ruined my life". Lâchée au début d'un morceau de son dernier album, la phrase éclaire à merveille la lente mais spectaculaire mue de Richard Terfry aka Buck 65. Né dans un hip-hop sombre et déviant au début des années 90, le Canadien n'a depuis cessé de triturer la matière sonore en tous sens pour arriver aujourd'hui à tracer les contours d'une musique hybride sans réel équivalent. Une musique en parfaite adéquation avec ses aspirations les plus profondes, brassant blues, folk, rock, cabaret et... hip-hop ! Année après année, Monsieur 65 a su faire entrer dans sa maison une lumière nouvelle à chaque enregistrement, enrichissant sa palette par petites touches en n'hésitant pas à s'entourer d'instrumentistes de talent pour orner ses boucles abstraites, ici d'une guitare western, là d'un clavier mélancolique. Gagnant en confiance, il a également fini par délaisser effets et filtres pour assumer pleinement une voix de bluesman testostéroné, patinée par les excès en tout genre. Et c'est là que se situe sans doute la clef de cette fameuse maison 65 : le blues, ses inépuisables histoires de perdants (pas toujours magnifiques), ses hôtels borgnes, sa violence désespérée et ses emmerdes avec un grand "E", comme le résume très bien Terfry dans A surrender to strangeness.Tortue génialeSi l'on considère le rap comme l'avatar contemporain de ce vieux blues, il paraît logique qu'en intarissable conteur d'histoire, l'ami Buck y ait fait ses premières armes. Logique aussi, au vu de ses références (de Dylan à Joy Division, de Captain Beefheart aux Beach Boys...), qu'il s'y soit vite senti à l'étroit et ait souhaité ouvrir les fenêtres en grand. L'expérience, déjà relativement concluante sur son précédent album Talkin' Honky Blues, s'avère totalement euphorisante sur le gigantesque Secret house against the world. Secondé par ses fidèles acolytes Charles Austin et Græme Campbell, mais aussi, excusez du peu, par Tortoise et ponctuellement Gonzales, le kid d'Halifax dégaine la dynamite d'entrée de jeu avec un Rough house blues (décidément !) qu'on croirait évadé de la Cave de Monsieur Nick, période Murder ballads. Finies les boucles et les instrus un peu figés, les fondations des morceaux reposent désormais sur des instruments qui, en outre, ont la chance de ne pas être tenus par n'importe qui. Ainsi de la batterie de John Herndon qui insuffle au 65isme tout le génie rythmique des cavalcades tortoisiennes ou du vibraphone de John McEntire, dont les volutes ne sont pas sans rappeler les grandes heures du combo de Chicago. Animal sauvage devant l'éternel, Terfry y va même de sa petite embardée punk sur le redoutable single Kennedy killed the hat (il apparaît d'ailleurs en clone torse nu d'Iggy Pop dans le clip), avant de nous gratifier de feulements terrifiants sur le refrain très "heavy" de Blanc-bec. Bien loin l'époque des austères T1 à l'espace confiné, Buck 65 a aujourd'hui trouvé la maison de ses rêves et en a abattu toutes les cloisons ; on espère juste qu'il nous y invitera souvent.Buck 65 Au Ninkasi Kao (avec Les Gourmets & Sarah Slean)Ven 14 octobre


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