Hors d'âge

Théâtre / Claudia Stavisky adapte un opéra comique de Georges Feydeau, L'ge d'or, pour inaugurer ses nouveaux Célestins. Un spectacle qui remplit sa mission de divertissement et montre même Feydeau en précurseur du post-modernisme ! Christophe Chabert


Le premier acte de L'ge d'or est typique du génie de Feydeau : Folentin, petit bourgeois ayant hérité une somme conséquente rentre chez lui, retrouve sa femme et sa fille, et râle jusqu'à la nausée contre cette "époque" qui empêche les riches de profiter de leur fortune, matraqués par les impôts, doublés dans leur désir d'avancée sociale par plus médiocre qu'eux, agressés par la puanteur et le bruit de la ville... Ce Jean-Pierre Pernaut début de siècle (remarquablement campé par Dominique Pinon) se réfugie dans l'illusion du "c'était mieux avant", surtout si cet "avant" est décrit par Alexandre Dumas dans La Reine Margot. Coup du destin : le Temps, un vieillard barbu et ricanant, lui propose d'aller le voir en vrai, cet avant-là. La pièce bascule alors dans une fantaisie musicale délirante, où Folentin croise Catherine de Médicis, Louis XV et Mandrin avant de se retrouver dans un futur robotisé, libidineux et matriarcal !Karaoké géant pour bordel éternelGrosse surprise en découvrant que Feydeau a inventé, au tournant du siècle, un des ressorts principaux de l'humour contemporain : le pastiche décalé, le récit classique malmené par des figures d'aujourd'hui qui les connaissent par cœur et sont capables d'en deviner les codes. Post-moderne, dira-t-on pour être pédants ; télévisuel façon Les Nuls-Les Robins des Bois serait plus exact. La télé est d'ailleurs un des étranges horizons de cette plaisante adaptation signée Claudia Stavisky, visiblement très heureuse de jongler avec une pièce qui lui permet de démontrer toutes les possibilités techniques de ses Célestins rénovés. Ainsi, lors des numéros musicaux, on se sent comme devant un karaoké géant : pas très bons chanteurs sur de la musique surgelée, les comédiens affichent une gaucherie qui colle finalement bien à l'ambiance générale (sauf peut-être dans le dernier acte, futuriste et fastidieux). On n'est pas là pour y croire mais pour s'amuser, et quand Marie-Sophie Ferdane, transformée en Reine Margot d'opérette, belle à se damner, chante sur des arrangements très Michel Berger, on ne sait plus si on est devant le prime de la Star Ac' ou à la première de L'ge d'or. On pourra aussi s'amuser à rapprocher le spectacle du Parfum de la dame en noir de Podalydès, avec qui il partage au moins une référence : Robert Houdin, prestidigitateur mythique et modèle de luxe pour le personnage de Gabriel, amant de la fille Folentin. La magie, c'est sûrement ce que visait Stavisky ici ; mais c'est finalement dans une trivialité popu que le spectacle convainc le plus quand, à l'unisson de son personnage, il démontre un vrai talent pour garder les pieds sur terre et faire l'expérience douloureuse d'un bordel éternel, en prendre son parti et rigoler un bon coup.L'âge d'orde Georges Feydeau, mise en scène Claudia Stavisky. 2h50.Aux Célestins jusqu'au 22 octobre.


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