"Nous sommes dans une période de réinvention"

Interview / Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, commissaires de la Biennale. Propos recueillis par JED


Vous avez qualifié la Biennale de Lyon de "biennale d'auteur". Qu'entendez-vous par là ?Thierry Raspail et Thierry Prat ont toujours demandé aux commissaires de cette Biennale de concevoir un véritable scénario et non pas un simple dispositif montrant une nouvelle vague d'artistes. Beaucoup d'autres biennales ressemblent à un Top 50 sans thème ni articulation. Ici le passage d'une œuvre à une autre raconte une histoire. "L'auteur" est une voix qui porte la parole des artistes : chaque œuvre est irréductible et n'appartient qu'à l'artiste, mais l'ensemble raconte une histoire. À la Sucrière, par exemple, vous commencez avec Sleep de Warhol et c'est comme si vous passiez à travers un rêve, puis vous pénétrez dans le brouillard de Janssens qui vous désoriente complètement, ensuite dans une pièce très surréaliste à la David Lynch de Virginie Barré, puis parmi les ballons de Martin Creed... Dans cette séquence, vous êtes passé dans un autre monde, de l'autre côté du miroir, on vous a privé de vos repères. Toute exposition est un discours aussi structuré qu'une phrase. Votre propre fil rouge est "l'expérience de la durée" ?C'est une série d'expériences avec un scénario ouvert, un peu à la Godard, sans début ni fin, c'est au spectateur de les inventer lui-même. Notre exposition n'est ni scientifique ni historique. Plusieurs générations sont mélangées et il est très difficile de dire qui est d'aujourd'hui, qui est d'hier... On voulait montrer notamment le dialogue entre les artistes actuels et ceux des années 60-70. La jeune génération se replonge dans cette époque de positions, d'engagements, de cassure des limites, qui avait réinventé une vision du monde. Avez-vous une certaine nostalgie pour cette époque ?Pas du tout. Il s'agit au contraire de voir ce qui, dans ces années 60-70, nourrit encore le débat artistique contemporain. Bien des problématiques d'aujourd'hui sont nées dans ces années-là, même si notre regard actuel est plus désenchanté. Ces années sont des années de liberté et de remises en question, elles demeurent une source d'énergie pour aujourd'hui. Nous ne sommes pas dans une période morte, mais au contraire d'une extraordinaire vivacité. Le remix en art, musique ou littérature ne signifie pas la fin d'une écriture. Nous sommes dans une période passionnante de réinvention.


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