Espaces rock


Art & musique / L'expérience de la durée proposée par cette biennale mobilise effectivement tous les sens. Parmi eux, l'oreille (musicale) est particulièrement sollicitée. Au Fort Saint-Jean, appendice superfétatoire à la Biennale, Fred Elaloof s'est fait plaisir en confectionnant un grand mix avec rien que des bonnes choses (Amon Tobin qui découpe le Velvet Underground, Four Tet, Jimi Tenor...), bande-son dont la durée est inversement proportionnelle à la longueur de la visite. On attend le CD pour écouter ça chez soi... Ailleurs, la musique prend vraiment toute sa dimension par rapport aux œuvres présentées : on pense évidemment à la Quiet room de Brian Eno au MAC, boîte de nuit méditative et ambiant, à mettre en écho avec la Dream House pourpre de La Monte Young, dans laquelle l'onirisme naît aussi de l'activité physique du spectateur. Couché par terre, il est assailli par les basses ; effectuant une rotation à 360° sur lui-même, il compose un morceau de musique expérimentale qu'il est le seul à entendre. La musique, dans cette Biennale, a bel et bien besoin d'espace, comme le prouve l'installation très rock'n'roll de Dave Muller : en son centre, une petite radio diffuse une playlist rêvée pour amateurs de musique déviante (Prefuse 73, au moment de notre visite) tandis que les murs sont recouverts d'une vaste fresque calligraphiant le diagramme du rock, des origines aux années 70. Impressionnant en même temps que pédagogique, l'œuvre souffre quand même de quelques oublis (notamment le Velvet et Lou Reed, jamais cités !). Mais c'est au deuxième étage de La Sucrière que la musique trouve vraiment toute sa place : dans l'installation de Saâdane Afif et ses guitares distillant des riffs aléatoires, morceau de rock sans début, ni milieu, mais surtout sans fin... Ou encore dans le petit studio d'enregistrement baroque'n'roll du Thaïlandais Surasi Kusolwong : une pièce où tous les clichés musicaux (jusqu'au pack de bière !) sont ludiquement empilés dans un espace rendu habitable. L'art en train de domestiquer le rock : une leçon qu'on ne s'attendait pas à trouver dans cette biennale !Christophe Chabert


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"Nous sommes dans une période de réinvention"