Le diable de la peinture au corps

Expo / Le critique d'art Richard Leydier jette un petit pavé dans la mare de l'art contemporain en défendant, en toute subjectivité, une vingtaine de peintres figuratifs français. Jean-Emmanuel Denave


Pour comprendre les enjeux de l'exposition organisée au Musée d'Art Contemporain par Richard Leydier (critique d'art à Art Press), un petit flashback est nécessaire. Dans les années 1980, en France, la peinture (la peinture figurative surtout) est considérée comme ringarde, dépassée, morte, voire un peu réac sur les bords. On lui préfère alors des médiums ou des dispositifs plus "modernes" : photographie, vidéo, installations... Ce n'est que depuis le début des années 2000 que la térébenthine revient peu à peu en odeur de sainteté, via essentiellement la peinture allemande, anglaise et américaine. My Favorite Things (titre de l'expo tiré d'un thème de jazz de Coltrane) tend à prouver qu'il existe aujourd'hui en France une scène picturale vivace et multiple. Scène française parmi laquelle Richard Leydier a choisi de montrer ses "choses préférées" : une vingtaine de peintres figuratifs ayant pour point commun de ne pas tourner autour du pot (de peinture) pour tout ce qui touche au corps, au cul, à la violence des affects ou des rapports humains.Eternelle jeune fille"Cette exposition a été conçue comme un cheminement, selon une succession de salles à l'intitulé simple, déclinant les différentes étapes de la vie d'un être humain : Plages, Jardins, Bonheur acide, Une curieuse solitude, Visions, Guerre et religion, le Sexe, la Mort" écrit Richard Leydier. La figuration et la matière picturale semblent en effet particulièrement appropriées pour ré-interroger avec énergie quelques fondamentaux : l'existence d'un être humain, sa place dans le monde, et surtout... son corps et ses métamorphoses. Que les plus modernistes se rassurent, les peintres exposés ne tendent pas à un quelconque retour à un sujet plan-plan ou à un humanisme mièvre : la figure humaine est ici malmenée, tourmentée, trouée d'angoisses et de solitude, menacée de disparaître, affrontée à ses pulsions les plus crues (pornographie) ou les plus morbides (guerre). Et quand le bonheur point (avec Daniel Clarke), il apparaît dans toute sa fragile étrangeté. Au fil de ce bouillonnant et passionnant cheminement existentiel, on retiendra par exemple : l'univers déliquescent de Marc Desgrandchamps, les hommes sans qualité si émouvants de Djamel Tatah ou de Stephan Balkenhol, les luxuriances de Robert Combas, les fulgurances hétéroclites de Stéphane Pencréac'h (un "boomerang", un "cadavre" et un autoportrait sans tête d'une simplicité à couper le souffle), les épaisses stratifications de corps et d'objets de Roman Barrot dont la densité et la force d'attraction aimantent littéralement le regard... Bref, cette vieille dame qu'est la peinture est en fait une vraie jeune fille dont les attraits ne sont jamais aussi excitants que lorsqu'elle parvient à rompre ses propres règles dans l'acte même qui les fait jouer (pour pasticher Michel Foucault).My Favorite thingsAu Musée d'Art ContemporainJusqu'au 7 août


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Personne chez soi