Archives sans fin

Livre (1) / Les Archives de Stanley Kubrick (Taschen), recueillies et éditées par Alison Castle. CC


L'objet est d'abord intimidant : 10 kilos emballés dans une mallette façon étagère Ikéa, avec à l'intérieur un bouquin tout en largeur de plus de 1500 pages, dont les textes ont été traduits en Français dans un volume séparé mais respectant les typos utilisées dans l'œuvre originale. Le bouquin lui-même contient un CD d'entretien avec Kubrick, un bout de pellicule de 2001, et se présente en deux parties qui, à la manière d'un film de Kubrick, forment un cercle parfait.IcônesD'abord les photogrammes des films, sans commentaire : ils s'en passent largement, tant éclate, dès l'initial Baiser du tueur et ses cadres au cordeau en noir et blanc expressionniste, l'extraordinaire puissance visuelle du cinéma de Kubrick. Cette première partie, long voyage à travers des images mythiques, provoque une double réaction : d'abord, le sentiment que Kubrick a passé sa vie à fabriquer des icônes, à transcender les capacités expressives de son medium pour le porter au rang d'art à part entière ; et le désir de revoir les films, tant cette quête plastique est indissociable des récits qui l'ont enfantée. TransparencesArrivé au bout de ce premier chemin, le lecteur revient à la case départ ; dans la deuxième partie, c'est l'envers du décor qui se révèle à ses yeux. Photos de tournage, lettres, manuscrits raturés, livres annotés, maquettes, miniatures et effets spéciaux (stupeur devant la découverte des transparences dans les rues de New York de Eyes Wide Shut), le tout agrémenté de nombreux commentaires passionnants et d'interviews majeures offrant un éclairage définitif sur l'œuvre.TravailCar si ses archives posent Kubrick en homme méticuleux, précis, elles révèlent aussi un homme au travail, dans un doute créatif permanent qui est peut-être, bien plus que son soi-disant perfectionnisme, la clé de sa lenteur à mener à bien ses projets. C'est d'ailleurs sur les films inachevés que se terminent ses Archives. Où l'on découvre que Spielberg a effectivement été très fidèle sur la forme à la vision de Kubrick (sur le fond, en revanche, on doute encore). Et qu'il faudra beaucoup de talent à Patrice Chéreau (et l'aide précieuse d'Al Pacino) pour faire oublier ce Napoléon kubrickien que l'on a tant rêvé...


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Pavé d'humanité